Transcription :

Rome, le 5 février 1829

Je suis, Monsieur le comte, extrêmement sensible à votre souvenir. Je vous ai suivi en pensée sur cette mer où l'on vous a fait errer comme Ulysse. Il est vrai, si j'en juge par une dépêche que j'ai reçue, qu'on ne vous attendoit pas en Italie. Que va-t-on maintenant, Général, faire de vous ? Je ne puis vous le dire. On ajoute que M. Jaubert est chargé de porter de grandes déclarations, à la suite desquelles l'ambassadeur de France et l'ambassadeur d'Angleterre iroient tous deux seuls, si la Sublime Porte daignoit le permettre, négocier humblement je ne sais quoi. Pour les Hellènes, le siège de Troie a bien duré dix ans ; pourquoi une négociation dans laquelle on ne sait ce qu'on veut ne dureroit-elle pas une vingtaine d'années ? En attendant, nous évacuons le royaume d'Agamemnon. C'est un petit voyage d'une quarantaine de millions ; mais aussi, que de gloire ! De mon temps, les choses étoient moins chères, et il ne m'eut pas coûté plus d'un millier de francs pour passer six semaines en Morée. J'ignore autant que vous, Général, ce qui se passe. Campé sur les ruines de Rome, comme vous l'êtes sur celles de la Grèce, je m'instruis par les journaux. Vous n'aviez pas besoin de nous recommander Madame Guilleminot et l'un de vos enfants [réécrit sur : et Mademoiselle Guilleminot] : pourquoi ne viendriez-vous pas au devant d'elle ? Nous aurions tant de plaisir, Mme de Chateaubriand et moi, à vous faire les honneurs de Rome. Vous êtes trop bon, Général, de vous souvenir de l'époque de votre nomination à l'ambassade de Constantinople : ce ne sont pas mes soins, ce sont vos services qui vous ont ouvert une carrière où vous appelaient vos talents.
Agréez de nouveau, je vous prie, Monsieur le comte, l'assurance de mon dévouement sincère et de ma haute considération.

CHATEAUBRIAND