Page d'histoire : Sigmund Freud 1900

Sigmund Freud par Max Halberstadt vers 1921

C'est le 4 novembre 1899 que Sigmund Freud, âgé de 43 ans, fait paraître L'Interprétation des rêves (Die Traumdeutung, au sens littéral : "L'Interprétation du rêve"). Conscient de l'importance de l'événement, il décide de dater l'ouvrage de l'année 1900 afin d'ouvrir le siècle avec ce livre magistral qui aura un rayonnement considérable dans le monde entier, aussi bien auprès des médecins de l'âme (psychothérapeutes, psychiatres, psychologues) que des écrivains et des philosophes.

À cette date, Freud est un médecin viennois reconnu par ses pairs, neurologue de formation, mais violemment critiqué pour avoir inventé en 1896 une nouvelle méthode de traitement des névroses (ou "cure par la parole"), fondée sur l'association libre : le sujet n'est plus hypnotisé mais dit librement ce qui lui passe par la tête. À cette méthode, Freud a donné le nom de psychanalyse (ou psychoanalyse) en empruntant ce terme à son ami et collègue Josef Breuer avec lequel il a publié, en 1895, ses fameuses Études sur l'hystérie.

Soucieux de rationalité mais volontairement rebelle, il n'hésite pas à défier ses adversaires qui lui reprochent de quitter le terrain de la science positive pour celui de la spéculation. Aussi place-t-il en exergue de sa préface une citation latine empruntée à Virgile : Flectere si nequeo Superos, Acheronta movebo (Si je ne puis fléchir ceux d'en haut, je franchirai l'Achéron"). Par cette attitude faustienne, Freud prend le risque d'une "descente aux enfers", seule manière à ses yeux de combattre les dogmes du savoir dominant.

Il n'est pas seul à cette époque à prendre le rêve comme objet d'une investigation scientifique. De nombreux médecins de la fin du siècle s'intéressent en effet à l'activité onirique afin de mieux comprendre les phénomènes pathologiques de double conscience ou de somnambulisme. À cet égard, l'idée que le rêve puisse exprimer une réalité cachée de la subjectivité était déjà présente chez Aristote qui récusait la conception surnaturelle de ses contemporains selon laquelle les songes seraient des révélations envoyées aux hommes par les dieux.

Quelle que soit l'attitude adoptée, il s'agissait toujours de déchiffrer le rêve en rapportant sa signification à une "clef des songes", c'est-à-dire à des mythes originels, des allégories collectives ou des images ésotériques.

Or, Freud rompt avec cette perspective en instaurant un lien entre une méthode d'interprétation, dans laquelle le rêve est assimilé à un état psychique parmi d'autres - et donc analysé par le sujet lui-même selon la méthode de la libre association -, et une théorie du psychisme qui postule l'existence d'un fonctionnement universel de l'activité onirique articulé autour de trois principes :

  •  Le rêve est toujours l'accomplissement d'un désir inconscient et refoulé, de nature sexuelle et d'origine infantile.
  • Le rêve suppose un travail, c'est-à-dire une activité langagière comparable à un rébus et dotée de processus spécifiques : condensation, déplacement, contenu latent, contenu manifeste, etc.
  • Le rêve renvoie à une psychologie générale de l'homme fondée sur le primat de l'inconscient par rapport à la conscience.

Publiée pour la première fois en français en 1926, L'Interprétation des rêves est traduite aujourd'hui dans plus de quarante langues. Bien que l'ouvrage soit un essai scientifique, il se lit comme un récit littéraire où l'on découvre, au fil des pages, la vie quotidienne des familles juives viennoises de la fin du XIXe siècle. Freud y raconte ses propres rêves et ses souvenirs d'enfance en mélangeant avec talent le style du journal intime et celui des mémorialistes.

Élisabeth Roudinesco
historienne
directeur de recherches à l'université de Paris VII

Source: Commemorations Collection 2000

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