Page d'histoire : Pose de la première pierre du palais du Luxembourg 1er avril 1615

Vue de la cour du palais du Luxembourg, détail, plume, encre brune,
lavis et aquarelle sur papier, anonyme, XVIIe siècle.
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michèle Bellot

Le premier jour d’avril, Sa Majesté la reine alla poser la première pierre pour l’heureux commencement de la construction de son palais, qu’elle fait édifier, et fixa selon l’usage dans les fondations quelques médailles en or. » Ainsi commença, il y a quatre siècles, l’histoire du Luxembourg, lieu chargé de signification dans l’histoire de Paris, dans l’histoire de l’architecture du XVIIe siècle et, bien évidemment, dans l’histoire politique de la France. Ce qui est aujourd’hui le siège du Sénat a été conçu dès le début comme un centre du pouvoir : c’était la résidence choisie par la régente de France, Marie de Médicis, le lieu où se réunissait le Conseil privé du roi Louis XIII et le théâtre des luttes de pouvoir qui ont incendié le règne de Louis XIII, avec Marie de Médicis et Richelieu pour protagonistes principaux.

Le jardin, que s’approprient aujourd’hui les enfants avec leurs bateaux à voiles et leurs poneys aussi bien que les étudiants, les touristes et autres flâneurs, était déjà au XVIIe siècle un lieu ouvert au public, où on allait se promener pour voir et se faire voir ou, comme dit La Bruyère, « pour se désapprouver les uns les autres ». La fermeture temporaire de ce jardin, entre 1715 et 1719, suscita les protestations véhémentes des Parisiens. Une réaction qui atteste le rôle de ce qu’était à l’époque le plus grand espace ouvert de la rive gauche, le plus grand jardin de la capitale et un moteur économique du quartier : selon Saint-Simon, sa fermeture « affligea le quartier Saint-Germain en faisant diminuer le prix de louage des maisons ».

Pour ce qui est de l’histoire des arts, le Luxembourg fut une véritable icône de son temps. Dessiné par Salomon de Brosse et Jacques Lemercier, les architectes fondateurs de ce qu’on appelle le classicisme français, décoré par les plus grands peintres – Philippe de Champaigne, Simon Vouet et Pierre Paul Rubens –, le Luxembourg fit l’admiration de ses contemporains. Le Bernin, qui le visita à plusieurs reprises pendant son séjour parisien en 1665, estima qu’il s’agissait de « ce qu’il avait vu de plus beau en France ». Son opinion était loin d’être isolée. La résidence de Marie de Médicis suscita toujours l’attention des artistes et des connaisseurs : les guides la signalaient comme un passage obligé dans la capitale, les graveurs en multipliaient les représentations, et les amateurs éclairés, comme les Barberini, les Médicis ou le duc de Buckingham, furent fascinés et inspirés par ce palais. Quant aux théoriciens de l’architecture, ils participèrent largement à la diffusion du monument et l’Académie en fit un sujet d’étude pendant que les artistes l’utilisèrent comme une école où ils copiaient l’oeuvre des maîtres.

L’histoire du Luxembourg et celle de la carrière politique de Marie de Médicis sont indissolublement liées : par la chronologie comme aussi par la fonction que le palais a eu dans la définition de l’image, que l’on qualifierait aujourd’hui de publique, de la reine. Le projet fut conçu en 1611, un an après l’assassinat d’Henri IV, pendant la minorité de Louis XIII et la régence de Marie de Médicis. Le chantier fut lancé en 1615 : quelques mois après la nomination de Marie comme chef du Conseil. La décoration intérieure commença en 1621, au retour de l’exil blésois, où Marie avait été reléguée en 1617. Le célèbre cycle de la galerie de la reine fut commandé à Rubens en 1622, à l’époque ou Marie de Médicis fut réadmise au Conseil et faisait partie, avec le roi et Richelieu, de ce qui a été appelé de manière significative le « triumvirat » au pouvoir.

L’iconographie du palais était dédiée à Marie de Médicis et son défunt époux, Henri IV : les deux galeries devaient abriter les cycles de tableaux commandés à Rubens qui illustraient, en parallèle, les haut faits de l’une et de l’autre ; des sculptures (qui ont depuis disparu) représentaient le roi sur les façades de son appartement, toujours en parallèle avec celles qui figuraient la reine sur le côté opposé ; la porte d’entrée portait les chiffres entrelacés d’Henri et de Marie. Le Luxembourg était donc un édifice consacré à la mémoire de ce couple royal : un palais mémorial, donc, un « monument » au sens premier du terme.

Du point de vue de la composition architecturale, le palais était un hybride extraordinaire qui combinait les éléments des deux traditions architecturales, l’italienne et la française, très différentes par la manière de composer, de construire et d’habiter. Pour le dessin des élévations du Luxembourg, De Brosse s’inspira du palais Pitti de Florence : dans l’utilisation des bossages et des trois ordres superposés, dans le dessin des travées et de certains de leurs détails, comme aussi dans la sobriété du style qui, bien que moins sévère que celui de Pitti, s’éloigne de manière sensible des surabondances décoratives qui avaient caractérisé une grande partie de l’architecture française de la fin du XVIe siècle. En revanche, pour la disposition du plan et des volumes, l’architecte s’inspira de la tradition du château français de la Renaissance, telle qu’on la trouve déjà établie à Bury autour de 1511 : le corps de logis principal au fond de la cour, les ailes en retour contenant des galeries, les pavillons d’angle surélevés, l’aile basse qui fait écran sur la rue, et les éléments clés de la composition et de la distribution alignés sur le même axe – le pavillon d’entrée, l’avant-corps du corps de logis principal, le grand escalier et le passage au jardin. Ainsi, cet édifice à la double identité non seulement conquit ses contemporains mais fut capable d’apparaître, avec plus de succès que sa commanditaire, français aux Français et italien aux Italiens, revêtant tour à tour le caractère que l’observateur voulait y reconnaître.

Le Luxembourg fut aussi le moteur d’un projet urbain à la grande échelle. Pour approvisionner la résidence et ses jardins, Marie de Médicis finança la restauration de l’aqueduc d’Arcueil – un ancien aqueduc romain abandonné, jadis alimenté par les sources de Rungis – et la construction du premier réseau hydraulique au sud de la Seine. Avec le Luxembourg, ce réseau fournissait en eau plusieurs établissements religieux, de nombreuses maisons nouvellement bâties et vingt-quatre fontaines publiques qui furent construites entre les années 1620 et les années 1640. Ce réseau, qui attirait l’établissement de grandes maisons et qui permettait de soutenir la croissance rapide de nouveaux quartiers, lança le développement moderne de la rive gauche.

Sara Galletti
assistant Professor of Art History
Duke University

Source: Commemorations Collection 2015

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