Page d'histoire : Le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc, Cahiers de la Quinzaine 16 janvier 1910

Couverture du 6e cahier de la XIe série des Cahiers de la quinzaine
© Fonds du Centre Charles Péguy à Orléans

À sa parution, l’œuvre témoignait une fois de plus de la fascination que la figure de l’héroïne n’a cessé d’exercer sur Péguy. Le texte en a été élaboré sur le canevas fourni par la première partie de la Jeanne d’Arc de 1897. Il en reprend la thématique du mal et du salut de même que les trois personnages bien individualisés : la petite Hauviette, Madame Gervaise qui recommandent chacune à leur manière de se plier en confiance à la volonté divine tandis que Jeanne entend se battre contre les misères du monde. De nombreux ajouts, de longueur variable, ont été intercalés au sein de la rédaction originelle. Les nouveaux développements (dont un fameux tableau de la Passion jailli sous le coup d’une inspiration soudaine) intègrent des prières et des méditations nourries par les réflexions menées dans Clio sur « la mystérieuse liaison du temporel et de l’éternel, du héros et du saint, du pécheur et du saint. » Écrit dans le plus grand secret, Le Mystère révéla au public le retour de Péguy à la foi et suscita des réactions divergentes. Chez les catholiques (Maritain, par exemple), des réactions de surprise voire d’indignation se firent jour : en présentant Jésus et les saints implantés dans le monde des petites gens, l’auteur aurait manqué à la révérence indispensable à un tel sujet. L’œuvre lui valut des sympathies chez les auteurs appartenant aux milieux de droite (Barrès), voire d’extrême-droite (Drumont), qui conclurent que le gérant des Cahiers de la quinzaine avait répudié ses convictions antérieures. Il paraissait ainsi s’inscrire dans le mouvement de réaction politique et religieuse qu’attestaient le succès de l’Action française et les conversions spectaculaires (Claudel) qui s’opéraient alors. Pendant quelques mois, pressé d’accéder à la notoriété, il laissa grandir le malentendu. Sans mesurer la contradiction, il se montrait en même temps particulièrement soucieux de se dégager de l’enrôlement à droite auquel on prétendait le soumettre. Ce souci de son indépendance personnelle l’incita à écrire Notre jeunesse, autre œuvre majeure de cette même année 1910 (12 juillet). Il y maintenait hautement sa fidélité à ses positions d’antan, proclamant ses options républicaines, justifiant son engagement dreyfusiste et se refusant à renier la « mystique » socialiste. De telles proclamations lui aliénèrent irrémédiablement la droite alors que sa position de dissident à l’égard du socialisme officiel le privait des appuis dont il aurait pu bénéficier à gauche. Dès lors, les déconvenues se succédèrent rapidement. Après avoir renoncé à briguer le prix Goncourt, il visa sans succès le prix de la Vie heureuse (le futur prix Femina) ; sa candidature au grand prix de littérature décerné par l’Académie française fut écartée l’année suivante. Péguy tira alors les conséquences de la situation et, renonçant à toute prudence tactique, se repositionna sur son intraitable exigence de liberté.

Géraldi Leroy
professeur émérite à l’université d’Orléans

Source: Commemorations Collection 2010

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