Page d'histoire : Sortie du film de Jacques Demy, Les Parapluies de Cherbourg 1964

Cette grâce, cette légèreté, « cette émotion appelée poésie », qui illuminent, au début de la Nouvelle Vague, ses premiers films, Lola (1960), La Baie des anges (1962), ont valu à Jacques Demy une reconnaissance immédiate. Amoureux de la comédie musicale américaine – « Astaire, Kelly, Minnelli » – il avait rêvé Lola en couleur, avec des ballets et des chansons. Son budget ne le lui permit pas. Avec son ami, le musicien Michel Legrand, il eut l’idée pour ce « grand projet » qui s’intitula à ses débuts La Belle Amour, puis L’infidélité ou les Parapluies de Cherbourg, d’un film entièrement chanté : « On m’a souvent demandé pourquoi j’avais fait des Parapluies de Cherbourg un film chanté, ou plutôt, pourquoi je l’avais baptisé un film en chanté. Comme on dit un film en couleur ou en costumes. Un film un peu déroutant. Un film qui ne se classait dans aucune catégorie. Un film qui n’était pas une opérette, parce que plus grave. Qui n’était pas non plus un opéra, parce que plus léger. Qui n’était pas non plus une comédie musicale, parce que sans chorégraphie. Bref un film sans étiquette ».

Un film qui n’aurait jamais pu se faire sans l’obstination de sa productrice, Mag Bodard : « Admirable Mag qui s’est obstinée pendant deux années à réunir l’argent nécessaire à la production de ce film dont personne ne voulait », écrira Demy de celle qui réussit le tour de force de lui donner les moyens de le réaliser tel qu’il l’avait conçu.

Maître de sa technique, perfectionniste, Demy ne cède sur rien. Il recherche le contrôle total de son œuvre, écriture, choix des comédiens et de ses collaborateurs, couleur, décors et costumes, pour que la magie opère.

Avant d’avoir choisi ses interprètes, il fait avec Michel Legrand enregistrer la totalité de la musique et des voix par des chanteurs de métier. Le tournage, en décors réels, commence le 17 août 1963 à Cherbourg. Il durera 8 semaines. « Il s’est passé, pendant le tournage, une sorte de phénomène curieux, comme un état de grâce », se souvient Catherine Deneuve. Le public sera sous le charme. Mais sous ses apparences de bijou précieux, l’univers de Jacques Demy est ici profondément tragique. Sa belle histoire d’amour, brisée par la guerre d’Algérie, se termine dans le déchirement. Sans doute les amants ne se reverront-ils jamais. Leur histoire commence en 1957. Geneviève travaille avec sa mère dans son magasin, les Parapluies de Cherbourg. Elle aime un garagiste, Guy Foucher, se donne à lui avant son départ pour l’Algérie et promet de l’aimer toujours.

Trois mois plus tard, Geneviève est enceinte, sans nouvelles de Guy. Elle chante : « Pourquoi l’attente est-elle si lourde à supporter ? Pourquoi Guy s’éloigne-t-il de moi ? Moi qui serais morte pour lui ? » Mais elle accepte d’épouser un riche diamantaire, Roland Cassard.

Mars 1959. Guy, blessé et désespéré, revient à Cherbourg. Il finit par accepter l’amour de Madeleine, et l’épouse.

Quatre ans plus tard, la veille de Noël, Geneviève passe à Cherbourg avec sa fille Françoise. Elle prend de l’essence dans le garage de Guy. Il préfère ne pas voir Françoise.
« – Comment l’as-tu appelée ?
– Françoise. Elle a beaucoup de toi.
– Je crois que tu peux partir.
– Toi tu vas bien ?
– Oui très bien. »

En 1964 Les Parapluies reçoivent le prix Louis Delluc et séduit le public à sa sortie à Paris le 19 février avant de remporter en mai la Palme d’or au Festival de Cannes pour devenir une légende du cinéma. Le film suivant de Jacques Demy, Les Demoiselles de Rochefort, sera le plus grand succès de toute sa carrière.

Dominique Rabourdin
réalisateur, écrivain

Source: Commemorations Collection 2014

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