Page d'histoire : Léon-Gontran Damas Cayenne (Guyane), 28 mars 1912 - Washington, 22 janvier 1978

Si le nom de Léon-Gontran Damas* est étroitement associé à l’histoire du mouvement de la Négritude – il fut avec Aimé Césaire et Léopold Senghor le co-fondateur de la revue L’Étudiant noir – le poète a cependant été perçu comme le mal-aimé du célèbre trio.

Né à Cayenne, le 28 mars 1912, le jeune Damas perd sa mère l’année suivante et il est alors confié à sa tante maternelle qui s’installe en Martinique. À Fort-de-France, au Lycée Victor Schœlcher, il a pour condisciple Aimé Césaire. C’est le début d’une longue amitié.

En 1929, il se fixe à Paris où sa fréquentation de la diaspora antillaise lui donne accès au milieu intellectuel et artistique qui hante le Quartier latin, et où il noue de solides amitiés avec les surréalistes français et avec les poètes noirs-américains qui animent le Montparnasse des « années folles » : Langston Hugues, Claude Mac Kay, Alain Locke (dont l’anthologie The New Negro a popularisé l’émergence des artistes de Harlem), sans oublier des musiciens emblématiques comme Duke Ellington ou Louis Armstrong auquel est dédié le poème Shine.

À leur contact l’écrivain affirme sa double originalité de précurseur et de passeur de cultures. Dès 1937, il scandalise par la publication de son premier recueil poétique, Pigments, préfacé par Robert Desnos, suivi, en 1947, de son anthologie Poètes d’expression française. Avec Veillées noires (1943), un florilège de contes réunis au retour d’une mission officielle en Guyane, Damas prend conscience de ses racines à la fois amérindiennes, créoles et africaines. « Trois fleuves coulent dans mes veines » confie-t-il dans Black Label et cette quête des origines, marquée du sceau de l’amertume et du désespoir, se prolonge dans Poèmes nègres sur des airs africains (1948), Graffiti (1952), Black Label (1956) et enfin Névralgies (1966). Comme si quelque chose en lui s’était définitivement désaccordé, le poète y exprime à la fois sa nostalgie de l’Afrique perdue – « Rendez-les moi mes poupées noires » exige-t-il dans Limbé – et sa colère froide de mulâtre inconsolé rebelle à toute forme d’assimilation, comme l’exprime sans concession Hoquet, un poème dans lequel il vomit son enfance de petit bourgeois « blanchi ».

Après un bref mandat de député de la Guyane à l’Assemblée nationale, Léon-Gontran Damas va s’affirmer comme un inlassable militant de la cause nègre à l’occasion d’une série de conférences dispensées à travers le monde, et notamment aux États-Unis. Nommé professeur à l’université Howard de Washington en 1973, il meurt dans cette ville en janvier 1978, victime d’un cancer de la gorge. Curieuse ironie du sort pour un poète qui, dit-on, est resté muet jusqu’à l’âge de six ans.

Jacques Chevrier
professeur émérite à l’université Paris IV ex-titulaire de la chaire d’études francophones de la Sorbonne

* Cf. Célébrations nationales 2006

Source: Commemorations Collection 2012

Liens