Page d'histoire : Invention de la pile électrique par Volta 1800

Piles construites pour le cabinet du physicien Charles (1746-1823)
Paris, musée national des techniques
© Lauros - Giraudon

En 1796, la cinquantaine juste dépassée, le professeur de physique expérimentale de Pavie, Alessandro Volta, possédait tout ce qu'il fallait pour construire la pile électrique à laquelle son nom reste attaché et qu'il ne devrait pas être besoin de décrire tant elle est utilisée par tous aujourd'hui. Elle ne fut pourtant connue qu'en 1800 par une lettre à Joseph Banks, secrétaire de la Royal Society de Londres dont Volta était membre depuis 1791, mais aussi par le voyage que Volta fit à Paris, en compagnie de son collègue chimiste Brugnatelli.

Ce voyage n'avait officiellement pour but que de remercier le Premier consul d'avoir rouvert l'Université de Pavie dans le cadre de la République Cisalpine. Mais la pile changea complètement le déroulement du voyage. Et Napoléon, certes membre de l'Académie des sciences depuis trois années, assista personnellement aux démonstrations faites par Volta. Une médaille d'or lui fut offerte, sur recommandation de la commission académique ad hoc sur le galvanisme. L'électricité galvanique et l'électricité des machines usuelles étaient reconnues identiques : Volta rencontra tout le "gratin" scientifique de la capitale française et exhiba ses résultats, fit part aussi de ses questions, chez le chimiste Fourcroy, qui allait devenir conseiller d'État, chez le physicien Charles et, bien sûr, auprès de Lamétherie, qui tenait le Journal de physique. La pile changeait-elle quelque chose pour la vision du monde qu'avaient les médecins ? À cette époque, les savants faisaient partie du "Tout Paris", et il n'y avait pas que Napoléon pour dire que la pile inaugurait une nouvelle ère.

Fidèle à la politique de séduction des intellectuels et tout particulièrement des scientifiques, qu'il avait adoptée à l'instigation de Lazare Carnot pendant la campagne d'Italie en 1796, Napoléon fit aussi de Volta un comte et lui procura une pension qui fut régulièrement versée. Entre l'Italie, en grande partie conquise par les armes françaises, et la France, se jouait par science interposée un jeu de représentation, le premier pays paraissant passer le relais au second. Pourtant, les deux communautés scientifiques étaient différentes, les Italiens beaucoup plus attachés à l'exposé d'une science "universitaire", explicative à la manière scolastique et qui allait se transformer sous le nom de positivisme, et les Français, marqués par le triomphe de la mathématique des Lumières, mais qui avaient à abandonner les prétentions impérialistes de cette science. De sorte que la rencontre était riche, sans subordination des uns par rapport aux autres, typiquement européenne. Volta est qualifié de "raisonneur sans pareil", alors que nous attendons une célébration de l'expérimentation où il excellait. Il devint membre étranger de l'Institut en 1803.

Il n'était pas intéressé par les conséquences chimiques de la pile, qui conduisirent les Anglais à isoler de nouveaux corps comme le potassium et le sodium ; il ne participa pas du tout aux conséquences électrodynamiques avec Oersted, Ohm et Ampère dans les années vingt, et ne prévoyait pas les conséquences électrotechniques qui changèrent le monde avec le moteur électrique. Alors qu'il est un homme du siècle précédent, en un sens conservateur jusque dans ses explications et affichant des convictions religieuses à la différence de ses collègues parisiens, Volta est surtout réglé par et sur ses propres idées et, de ce fait, peut incarner le génie de la science romantique.

Jean Dhombres
directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

Source: Commemorations Collection 2000

Liens