Page d'histoire : Histoire d'O paraît sous le nom de Pauline Réage Juin 1954

Histoire d'O, édition de 1962

J’ai lu Histoire d’O peu de temps après sa parution et cela a été un choc pour la jeune femme que j’étais alors. Par la suite, j’ai relu ce roman presque chaque année, durant dix ans, puis deux ou trois autres fois depuis, découvrant lors de ces nouvelles lectures des choses qui m’avaient échappé. Je me souviens qu’à l’époque, je ne comprenais rien à O, sa soumission aux désirs de son amant m’était insupportable : il a fallu, qu’à mon tour, je sois amoureuse, pour comprendre jusqu’où on pouvait aller pour l’amour d’un homme. Aussi, lorsque Jean-Jacques Pauvert me proposa de rencontrer cet auteur mythique, j’acceptai avec joie et avec une certaine appréhension. Dès notre première rencontre, je fus séduite par Dominique Aury, par sa gentillesse et sa simplicité. J’étais surprise qu’elle fût si éloignée de l’idée que je me faisais d’un écrivain ayant écrit un livre aussi dérangeant. Rien en elle ne révélait « l’érotomane » qu’elle était en réalité ; elle cachait bien son jeu. Son apparence discrète lui permettait d’aller plus loin dans la découverte de l’érotisme sans que cela puisse choquer qui que ce soit. Cela me troubla et me donna à réfléchir. Au fil des ans, notre amitié se développa et elle accepta de répondre à mes questions sur l’origine d’Histoire d’O et pourquoi elle l’avait écrit ; cela donna O m’a dit, un livre cher à mon cœur. Pendant de longues heures, elle répondit à mes questions ne cachant rien de ses fantasmes ni de ceux de cet amant pour lequel elle avait écrit ce livre qu’elle savait devoir le troubler et, peut-être, l’effrayer. « Je voulais qu’il m’aime malgré ça », me disait-elle avec cette fierté dans la soumission qui la faisait ressembler à son héroïne. J’étais agacée par tant de docilité face aux humiliations qu’imposait sir Stephen à O ne comprenant pas que ce fût dans la servitude qu’O était grande et dominait son amant.

Histoire d’O eut sur ma génération et celles qui suivirent une importance que nous réalisâmes longtemps après : une femme osait dire ses désirs les plus secrets et nous délivrait de la honte attachée à leurs réalisations.

Régine Deforges
écrivain, éditeur

Source: Commemorations Collection 2004

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