Page d'histoire : Sigebert de Gembloux Vers 1028 - Gembloux (Belgique), 5 octobre 1112

Sigebert de Gembloux dicte sa Chronique à un copiste
Détail (ms 159, f° 70) : Initiale D de Dicturi
Chronique de Robert de Torigni, Scriptorium du Mont-Saint-Michel, 2e moitié du XIIe siècle
B. M. Avranches
© Ville d'Avranches
 

Sigebert, né dans le pays mosan, fut formé dans le monastère de Gembloux, un des plus brillants centres intellectuels du diocèse de Liège et de la chrétienté au XIe siècle. Très jeune, il vint à Metz vers 1049-1050 pour être l’écolâtre de l’abbaye Saint-Vincent. Il allait y passer vingt ans et semble avoir accompli sa tâche à la satisfaction générale : il dirigea l’école de l’abbaye en formant non seulement les jeunes moines mais aussi, si l’on en croit son biographe, « des clercs venus de partout ». Il écrivit aussi, et ce dans une langue latine recherchée. Il composa d’abord une vie du fondateur de l’abbaye, l’évêque Thierry Ier de Metz, et sut jeter un voile pudique sur les errements qui avaient marqué les dernières années de la vie de ce prélat. Il célébra dans plusieurs textes sainte Lucie, dont le corps constituait la relique la plus prestigieuse de l’abbaye, et le saint roi Sigisbert, fondateur de Saint-Martin-devant-Metz. Enfin, sur le point de rentrer à Gembloux vers 1070-1071, il composa un Éloge de Metz, en tenant adroitement la balance égale entre rhétorique et réalisme.

À Gembloux, il continua d’écrire d’abondance, notamment des textes en vers et en prose pour honorer l’abbaye et ses saints, ainsi que des ouvrages savants. Il s’engagea résolument dans la Querelle des investitures qui opposa aux papes les empereurs Henri IV et Henri V ; il défendit dans des pamphlets, avec une verve mordante et une grande éloquence, la cause impériale, non pas qu’il récusât la nécessité d’une réforme de l’Église, mais pour souligner la place que devait tenir le pouvoir temporel dans cette réforme. Parallèlement, il composa son œuvre majeure, une chronique universelle, c’est-à-dire une histoire de la plupart des royaumes connus en Occident depuis 381 jusqu’en 1111. Il donna à son texte une forme annalistique et élabora un système de datation extrêmement perfectionné. En dépit de cette forme contraignante, Sigebert a su faire apparaître le lien entre le destin du monde et celui de l’Empire, entendu comme la dignité et la mission que Dieu avait conférées aux Carolingiens puis transférées aux rois d’Allemagne comme à leurs héritiers.

La chronique de Sigebert eut un très grand succès non seulement dans l’Empire mais aussi en France, comme en témoignent les trente-cinq manuscrits présents dans le royaume et les éditions parisiennes de 1513, 1575, 1583 et 1608. Ce sont les moines, bénédictins, cisterciens, et les chanoines prémontrés qui assurèrent ce succès en copiant la chronique, tout en l’interpolant et en la prolongeant. La chronique de Sigebert fut également utilisée comme principale source pour écrire d’autres chroniques universelles au XIIe et au XIIIe siècle. Elle fut notamment intégrée en grande partie dans le Speculum historiale, une grande encyclopédie d’origine dominicaine ; celle-ci sera traduite en français au début du XIVe siècle, ce qui permit à la chronique de Sigebert de parvenir à la connaissance d’un public laïc. Elle fit même partie, certes à un rang secondaire, des sources de l’histoire officielle du royaume, connue sous le nom de Grandes chroniques de France. Il ne faut donc pas s’étonner que l’humaniste Jean Bodin à la fin de La méthode de l’histoire, dressant la liste des œuvres historiques fondamentales, cite celle de « Sigebert le Français ».
 

 

Mireille Chazan
professeur émérite université Paul Verlaine, Metz

Source: Commemorations Collection 2012

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