Page d'histoire : Parution de la Vie de Jésus d'Ernest Renan 1863

La publication de la Vie de Jésus d’Ernest Renan (1823-1892), en 1863, connaît aussitôt le succès et provoque un scandale. L’auteur, qui est membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (1856) et vient d’être nommé professeur d’hébreu au Collège de France (1862), est suspendu de cette fonction par décision de Victor Duruy, ministre de l’Éducation nationale de Napoléon III. La Vie de Jésus est le début d’une Histoire des origines  du  christianisme écrite jusqu’en 1881. Renan devient membre de l’Académie française en 1878 et administrateur du Collège de France en 1883. Qu’a donc sa Vie de Jésus de si scandaleux ?

 

Jusqu’au XVIIIe siècle, la vie de Jésus se confond avec les récits évangéliques qui présentent Jésus comme un être surnaturel, très humain par certains traits, mais possédant des pouvoirs divins et ayant une naissance et une mort hors du commun. Le personnage n’appartient pas véritablement à l’histoire, le merveilleux côtoie constamment le quotidien. Et l’Église veille à ce que Jésus garde ce statut particulier. Mais avec le développement de l’esprit critique, la validité du témoignage historique des Évangiles est remise en cause. Le premier, l’Allemand Reimarus s’interroge sur l’historicité de Jésus (1)  ; après lui, un historien allemand va jusqu’à nier l’existence de Jésus (2), déjà considéré par certains comme un mythe solaire (3). La réflexion de Renan se situe dans la lignée de ces travaux : pour lui, Jésus a bien existé, et l’on peut aborder sa vie en historien, en laissant de côté le merveilleux : c’est cette séparation de l’histoire et de l’histoire sainte qui provoque le scandale. Le chapitre 26 sur la mort de Jésus se termine par ce trait d’humour : « La forte imagination de Marie de Magdala joua en cette circonstance un rôle capital. Pouvoir divin de l’amour ! Moments sacrés où la passion d’une hallucinée donne au monde un Dieu ressuscité ! »

 

Mais l’ouvrage a un autre centre d’intérêt : pour Renan, le génie de Jésus est d’avoir su se détacher de sa culture juive d’origine (qui fait partie de la « barbarie ») pour entrer dans la vraie civilisation, celle du monde gréco-romain dont la culture occidentale se considère comme l’héritière. Renan épouse ainsi le mépris de son siècle pour la culture juive, et de cette incompréhension vont naître l’affaire Dreyfus, puis l’antisémitisme qui aboutira à la Shoah. Renan est tributaire de ses lectures. On voit aujourd’hui les choses très différemment, en découvrant notamment l’importance des  liens  entre  la  culture  grecque d’Alexandrie et le monde juif, dès le IIIe siècle avant notre ère. Jésus est pour Renan un personnage historique, qui devient  par  sa  clairvoyance  un  des grands sages de l’humanité. Son livre demeure une référence (4).

 

Christian-B. Amphoux CNRS (1974-2008),
historien du texte biblique centre Paul-Albert Février, université d’Aix-Marseille

 

1. H. J. Reimarus, Von dem Zwecke Jesu und seiner Jünger, publié à titre posthume par G. E.
Lessing en 1778.
2. D. F. Strauss, Das Leben Jesu kritisch bearbeitet, Tübingen, 1835 ; trad. par E. Littré, Paris,
1839 et 1853.
3. C. F. Dupuis, Origine de tous les cultes, Paris, 1794.
4. C. A. Evans, Life of Jesus. An Annotated Bibliography, NTTS 24, Leiden 1996, qualifie la Vie de Jésus de Renan de « first major French work on the quest » (p. 18).

 

Voir Célébrations nationales 1992, p. 99  et 2003

Source: Commemorations Collection 2013

Liens