Page d'histoire : Louis Dumont Salonique (Grèce), 1er août 1911 - Paris, 19 novembre 1998

La sociologie du système des castes a été profondément renouvelée, dans la seconde moitié du XXe siècle, par l’œuvre de l’anthropologue Louis Dumont. Élève de Marcel Mauss à l’Institut d’ethnologie du Musée de l’homme, à Paris, entre 1936 et 1939, Dumont débute sa carrière d’anthropologue au Musée des arts et traditions populaires où il est auxiliaire puis assistant de 1937 à 1951. Son premier travail porte sur l’étude d’un rituel populaire du sud de la France, La Tarasque (1951). Mais au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ce sont ses travaux sur l’Inde qui retiennent l’attention des spécialistes. Sa monographie dévolue à Une sous-caste de l’Inde du Sud (1957) marque un changement de paradigme pour la sociologie de l’Inde. Rompant avec les études de villages, alors dominantes, l’auteur met au premier plan la caste comme organisation sociale hiérarchique inscrite dans un territoire qui déborde le cadre villageois. Après avoir été Lecturer à l’université d’Oxford (Grande-Bretagne) durant quatre ans, Dumont est élu, en 1955, dans une chaire de sociologie de l’Inde (puis de sociologie comparative) à la 6e section de l’École pratique des hautes études (aujourd’hui EHESS). En 1957, en collaboration avec l’anthropologue britannique David Pocock, il fonde la revue Contributions to Indian Sociology. Mais l’œuvre majeure de Louis Dumont demeure Homo hierarchicus (1967), vaste synthèse portée par une visée théorique, dans laquelle il propose une interprétation globale de la société hindoue des castes, fondée sur une inégalité statutaire de naissance.

Abandonnant ses recherches sur l’Inde au milieu des années 1960, Dumont développe alors un second volet de son œuvre sur la genèse de l’individualisme moderne, de type égalitaire, qu’il oppose à la société des castes, notamment dans son livre Homo aequalis (1977). Mais ce travail et ceux qui suivent, Essais sur l’individualisme (1983), relèvent essentiellement de l’histoire intellectuelle des idées politiques et philosophiques sans fondement empirique.

Les deux versants de l’œuvre de Louis Dumont ont fait l’objet de nombreux débats. Son interprétation sociologique du système des castes est à la fois l’objet d’une vive admiration autant que d’âpres critiques. La plus radicale des objections est que l’auteur adopte un point de vue dominant interne à la société des castes, sans interroger les fondements sociaux et religieux de la domination qui est au cœur de ce système social inégalitaire. Et sa sociologie comparative, réduite à une confrontation radicale entre l’Occident et les sociétés dites traditionnelles, engage une vision conservatrice du monde empreinte de nostalgie pour tout ordre social de type hiérarchique. Son œuvre indianiste demeure néanmoins une entreprise sociologique d’une rare cohérence que ne peut ignorer tout projet de compréhension du système des castes dont les effets perdurent dans l’Inde contemporaine.

Roland Lardinois
directeur de recherche au CNRS

Source: Commemorations Collection 2011

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