Page d'histoire : Guiseppe Verdi Roncole, près de Busseto, prov. de Parme, 10 octobre 1813 - Milan, 27 janvier 1901

Caricature de Bianco "Ab Jove Principum" extraite de l'Album Artistico della Gazetta musicale di Milano
Bibliothèque nationale de France

Pendant près de cinquante ans, entre 1840 et 1890, Verdi a progressivement établi sa domination sur la scène lyrique italienne et sa réputation s'est étendue aux cinq continents. D'autres musiciens ont eu une carrière aussi longue qui a naturellement entraîné des modifications dans leur art ; mais le cas de Verdi est unique car pendant ces cinquante ans, la société, les mentalités et la culture se sont radicalement transformées, et le compositeur a suivi ou devancé ces transformations : c'est pourquoi l'histoire de Verdi, c'est un peu l'histoire de l'Europe entre le premier romantisme et l'avènement de la modernité.

Fils d'un aubergiste de campagne, Verdi est né près de Busseto, dans la province de Parme. Après des études musicales à Busseto, il se présente au conservatoire de Milan mais, refusé, il parfait ses études avec un maître privé. Il commence sa carrière en maître de chapelle mais très vite se tourne vers le théâtre lyrique : son premier opéra, Oberto, conte di San Bonifacio, a un certain succès en 1839 mais l'opéra bouffe suivant est un échec. En 1842, avec Nabucco, vaste fresque historique et patriotique sur les mésaventures des Hébreux en captivité à Babylone, il obtient son premier grand triomphe. Pendant les dix années qui suivent, Verdi déploie une activité intense, créant une douzaine d'opéras dans les grands théâtres lyriques de l'époque, parcourant l'Europe pour suivre les destinés de ses créations et surveillant minutieusement la mise en scène, la direction et le choix des chanteurs, en imprésario avisé qu'il fut toute sa vie. Cette première production est inégale : certains opéras ont du mal à survivre tandis que d'autres, comme Ernani ou Macbeth se sont imposés et révèlent ses qualités d'artiste lyrique : une expression énergique, un grand sens dramatique et un constant souci de l'économie des divers épisodes qui doivent filer vers le dénouement. Pendant cette période, il devient riche et acquiert une grande propriété près de Busseto dont il fait son port d'attache ; après la mort tragique de sa première femme et de ses deux enfants, il se lie avec la chanteuse Giuseppina Strepponi qui demeurera jusqu'à sa mort sa compagne. Ses sympathies politiques le rapprochent des patriotes qui luttent pour la libération de l'Italie et dont il deviendra un symbole.

Entre 1851 et 1853, Verdi produit coup sur coup trois chefs-d'œuvre - Rigoletto, La Traviata, Il Trovatore - qui assoient solidement sa domination dans la péninsule. Ses fréquents séjours à Paris renforcent sa familiarité avec l'opéra français dont il s'inspirera pour l'ampleur des tableaux et la variété des registres. Par la suite, il écrit moins se montrant plus minutieux pour la facture de ses œuvres et plus exigeant dans le choix de ses textes ; il demeure toutefois pragmatique, s'orientant tantôt vers une forme modernisée de mélodrame traditionnel (Un ballo un maschera), tantôt vers de vastes opéras dans le style français (Don Carlos) et il termine son œuvre par deux opéras d'une étonnante modernité, placés sous le patronage de Shakespeare qui fut constamment son modèle et son guide. C'est également dans sa vieillesse qu'il écrivit les rares œuvres qui, comme le Requiem, n'appartiennent pas au répertoire lyrique. Devenu un patriarche respecté dans toute l'Italie et un musicien reconnu dans l'Europe entière, il meurt en 1901.

L'homme était affable mais rugueux, autoritaire mais sensible aux profonds changements de mentalité qui accompagnent le passage du premier romantisme au désenchantement et à l'intériorisation de la fin de siècle. Son œuvre est assez variée pour qu'il soit impossible de l'enfermer dans une succession de manières déterminées. Il commence incontestablement comme l'héritier d'une tradition lyrique séculaire qu'il ne reniera jamais et dont il garde les traits principaux : l'élaboration d'une facture soignée mais directement accessible, la recherche de personnages exemplaires dont la simplicité psychologique est compensée par la vigoureuse capacité de s'imposer à l'auditeur, le goût de conflits puissants qui recoupent les grands problèmes de l'époque (le conflit de la liberté individuelle et de la pression sociale, la force de la passion qui exalte mais détruit).

Verdi est peu à peu gagné par le tourment de la modernité : ses personnages deviennent plus ambigus, son écriture plus fluide, les formes dont il use s'allègent et se diversifient, de sorte que l'on passe insensiblement du mélodrame traditionnel au drame moderne. Par-delà ce constant cheminement, on note certains traits constants : un tempérament impérieux qui est à l'écoute de toutes les suggestions mais se montre autoritaire quand son idée est faite sur un drame, un personnage, une situation ; la conviction que si l'opéra est le fruit d'une collaboration de plusieurs artistes, le seul capitaine est le musicien ; la certitude que l'opéra est avant tout une forme théâtrale plus qu'un genre littéraire ou musical, et que la réalisation scénique est sa seule épreuve de vérité.

Gilles de Van
professeur à l'université de Paris III

Source: Commemorations Collection 2001

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