Page d'histoire : Pierre de Coubertin Paris, 1er janvier 1863 - Genève (Suisse), 2 septembre 1937

Il aura fallu beaucoup de culot et de persévérance à Pierre de Coubertin pour réussir l’entreprise à laquelle son nom est associé. En cette fin de XIXe siècle, la rénovation des Jeux olympiques ne va pas de soi. Non que le sport soit tenu pour une pratique sans lendemain, encore qu’il reste limité à une élite sociale, mais parce que les pays anglo-saxons le considérant comme leur chasse gardée, ils voient d’un œil méfiant cet aristocrate français, certes frotté d’éducation anglaise et « sportsman » à ses heures, se porter à l’avant d’un mouvement qu’ils ne contrôlent pas.

D’autres raisons contrarient sa démarche. Le pacifisme à l’origine des Jeux modernes résiste mal aux conflits latents qui perdurent – entre la France et l’Allemagne depuis 1871 – et aux vieilles querelles qui ne demandent qu’à se réveiller – entre la France et l’Angleterre sur la question coloniale. Quand, en 1894, Coubertin lance, à la Sorbonne, l’idée de l’olympisme, il se heurte aux réticences des fédérations françaises d’escrime et de gymnastique qui envisagent mal que leurs membres affrontent des Allemands. L’universalisme qui préside à la renaissance des JO n’est pas un ressort qui anime leurs responsables. De même, entre les fédérations, les hiérarchies ne se bousculent pas au prétexte qu’il est des disciplines plus nobles que les autres et que, le temps des épreuves, des représentants de l’art équestre ne sauraient trop se mélanger à des « bicyclistes ».

Il n’empêche que Coubertin, bien servi par un comité à sa dévotion – le CIO (comité international olympique) dont il conduit les destinées de 1896 à 1925 –, surmonte les obstacles d’olympiade en olympiade, abat des forteresses et s’impose avec autorité : sur la charte régissant l’olympisme, sur la désignation des villes hôtesses des Jeux, sur les nouvelles compétitions admises à figurer aux JO (le pentathlon moderne et les arts à Stockholm)… N’oublions pas que la médaille d’or en lettres (1) est attribuée, en 1912, à « Georges Hohrod et Martin Eschbach », double pseudonyme sous lequel se cache Coubertin.

La personnalité du baron est à la mesure des défis qu’il a relevés durant trente ans. Né le 1er janvier 1863 dans un milieu catholique et monarchiste, il rompt dès 1887 en embrassant la République. Une décision mal vécue par les siens et qu’il évoque dans une autobiographie déguisée, Le Roman d’un rallié. Son mariage avec une protestante n’est pas fait non plus pour lui attirer les sympathies de son entourage. Pas davantage son anglophilie et ses rêves d’Amérique qui lui inspirent, à rebours de l’esprit français dominant, un type d’éducation à forte dose de sport.

Homme de caractère, de trop de caractère ? Coubertin suscite des inimitiés. Les monarchistes le répudient, les républicains s’en méfient. Son refus d’une mainmise des États sur l’organisation des Jeux et ses manœuvres pour réintroduire les vaincus de 1918 aux JO soulèvent l’opposition du gouvernement français. Mis sur la touche en 1925, il se statufie en commandeur de l’olympisme. Mais il se compromet. Ruiné, il est l’otage de l’Allemagne nazie qui en fait son candidat au Nobel de la Paix, l’année des jeux de Berlin, contre le combattant antifasciste Karl von Ossietzky, futur lauréat. Quand il meurt en 1937, il est un homme seul.

Daniel Bermond journaliste, écrivain

1. jusqu’aux années 50, le JO comprenaient des disciplines intellectuelles et artistiques.

Source: Commemorations Collection 2013

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