Page d'histoire : Avènement de Charles V. Bataille de Cocherel printemps 1364

Charles V remettant son épée de connétable à Bertrand Du Guesclin - Scène des Grandes Chroniques de France
Enluminure de Jean Fouquet, vers 1455-1460
© Bibliothèque nationale de France

Lorsque disparaît le roi Jean II le 8 avril 1364, la monarchie des Valois vient de traverser plusieurs décennies de crises. La défaite militaire face aux Anglais et la captivité du roi semblent manifester la désaffection divine pour la jeune dynastie. En butte aux rébellions et à l’opposition des états, aux prétentions successorales d’Édouard III et de Charles de Navarre, l’autorité monarchique est affaiblie. Le jeune dauphin Charles se trouve face à une immense tâche de reconquête. Il apprend à Reims, la veille du sacre, la nouvelle de la victoire remportée par Bertrand Du Guesclin sur les troupes du captal de Buch à Cocherel, le 16 mai 1364. C’est donc dans une liesse savamment mise en scène que Charles est sacré et couronné. Ce cérémonial rappelle à tous que l’autorité monarchique a quelque chose de charismatique et qu’elle est d’ordre religieux. Il demeure durant son règne l’un des piliers d’une légitimité reconstruite. Légendes, attributs et rituels concourent à célébrer une véritable religion royale, tandis que les savants légistes et les moines de Saint-Denis, gardiens de la mémoire dynastique, inscrivent les Valois dans la continuité. C’est à cette époque que commence à se forger l’idée d’un royaume conçu comme un territoire et non comme un amas de mouvances complexes, autour d’une dynastie et de la personne du souverain, base eux-mêmes d’un sentiment d’appartenance nationale encore en devenir.

La victoire de Cocherel, sur l’Eure, est emblématique à plus d’un titre. D’abord parce qu’elle inaugure cette période de reconstruction de la légitimité monarchique. Ensuite, parce qu’elle met aux prises des acteurs et des techniques caractéristiques de nouvelles méthodes de guerre. D’un côté, voici Jean de Grailly, alias le captal de Buch († 1376), du nom du captalat de La Teste-de-Buch, un fief situé au sud du bassin d’Arcachon. Il est parent du comte de Foix et Béarn et sert fidèlement le duc de Guyenne, Édouard III, puis le Prince Noir. Jean de Grailly est un seigneur gascon cultivé, nourri de récits chevaleresques et dont la guerre est la principale source de revenus. Après le traité de Brétigny, il entre au service de Charles de Navarre et guerroie en Normandie où il se heurte à Bertrand Du Guesclin († 1380). Ce modeste capitaine breton issu des environs de Saint-Brieuc a déjà combattu les Anglais lors de la guerre de succession de Bretagne, avant d’opérer en Normandie face aux Anglo-Navarrais. En avril 1364, il s’empare des forteresses de Mantes et de Meulan qui contrôlent la vallée de la Seine. Il entre en contact avec l’armée du captal de Buch dans la région d’Évreux et de Vernon, le 16 mai 1364. Solidement retranché, le captal est poussé à l’attaque par Du Guesclin qui simule une retraite pour l’attirer dans la plaine où ses Bretons le prennent à revers au cri de « Nostre-Dame du Guesclin ! » La victoire est éclatante. Le captal lui-même est prisonnier. Le roi récompense Du Guesclin en lui confiant le comté de Longueville. Dès le début du règne, et même si la campagne de Normandie se prolonge jusqu’en 1365 sans issue décisive, tandis que celle de Bretagne se solde par la victoire des alliés du roi d’Angleterre la même année, Bertrand Du Guesclin devient ainsi l’un des principaux appuis militaires de Charles V.

Thierry Pécout
professeur d’histoire du Moyen Âge
université de Saint-Étienne

Source: Commemorations Collection 2014

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