Page d'histoire : Construction du pont Saint-Jean à Bordeaux 1860

Carte postale représentant le pont au début du XXe siècle
Archives départementales de la Gironde
© Conseil général de la Gironde

Le pont ferroviaire qui relie les deux rives de la Garonne à Bordeaux n’est pas un pont ordinaire. Son histoire épouse celle de la capitale de l’Aquitaine en pleine révolution industrielle.

Au début du Second Empire, Bordeaux est en pleine transformation : au nord, le chemin de fer du réseau d’Orléans qui a atteint la rive droite en 1852 et dispose désormais d’une grande gare moderne à Bordeaux-Bastide recevant le trafic voyageur vers Angoulême et Paris. Au sud, les deux lignes de la compagnie du Midi vers Sète et Bayonne qui viennent d’être concédées par l’État aux frères Péreire, où tout est à faire. Seule existe, rive gauche, la petite ligne de Bordeaux-La Teste avec sa gare de Bordeaux-Ségur.

Le défi est aussitôt lancé : de 1853 à 1854 est réalisée la liaison Bordeaux – Dax à travers la forêt landaise ; l’impératrice Eugénie inaugure la ligne à la gare de Dax le 19 septembre 1854, rejoignant ce jour-là celle de Bordeaux en 3 heures 30.

Le raccordement des deux lignes devient désormais un chantier prioritaire, d’autant que la famille impériale s’intéresse étroitement à l’exploitation du territoire landais et au développement de la côte. Mais il s’agit d’enjamber la Garonne, fleuve impétueux en hiver, de plus de 500 m de large.

Pour ce vaste chantier, considérable pour l’époque, les deux compagnies de chemin de fer Orléans et Midi se réunissent en syndicat pour lancer un appel d’offres. Parmi les candidats, se présente la Compagnie générale de matériel de chemins de fer, une compagnie belge dirigée par Pauwels, qui soumissionne au concours ouvert en 1856 : venant de recruter un jeune ingénieur de l’École centrale, Gustave Eiffel, l’équipe technique de Laroche-Tolay, qui présente le meilleur projet, est retenue. Eiffel, âgé de 24 ans, reçoit la direction technique du chantier avec un traitement de 250 F par mois et 175 F d’indemnités.

La convention et le décret autorisant la concession du raccordement entre les deux lignes sont signés à la date du 1er août 1857. Les travaux commencent le 1er août 1858, ils doivent être achevés en 26 mois (du 1er mai 1858 jusqu’au 1er juillet 1860) : il s’agit de construire tout d’abord six piles en fonte de 20 à 29 m de profondeur, qui seront placées dans le lit du fleuve grâce au procédé alors récent de fonçage à l’air comprimé dont la mise au point va constituer une véritable prouesse technique. La charge était appliquée au moyen de quatre presses hydrauliques, deux à chaque tube, qui permettaient à volonté de faire pénétrer les cylindres dans le sol soit par aspiration, en laissant échapper l’air comprimé, soit par l’action directe d’une charge qui dépassait 200 tonnes.

Mais le jeune Eiffel n’est pas seulement un remarquable algébriste, il devient ce « magicien du fer » : sur 504 m, il dispose une véritable route de métal avec 3000 tonnes de tôles appuyées sur les six piles de fonte. Le chantier est bouclé pratiquement dans les délais prévus, soit 26 mois : inauguré le 8 juillet 1860, il est mis en service dès le mois suivant. Le pont n’a pas seulement contribué à ouvrir définitivement les Landes et la Côte basque au public parisien, il a aussi révélé un grand ingénieur français.

 

Louis Bergès
directeur des Archives départementales de la Gironde
 

Source: Commemorations Collection 2010

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