Page d'histoire : Eustache Le Sueur Paris, 19 novembre 1616 - Paris, 30 avril 1655

L’ange Raphaël révèle sa véritable nature à Tobie et à sa famille et s’élève au ciel,
huile sur toile d’Eustache Le Sueur, 1647, musée de Grenoble. © Musée de Grenoble
 

 

Peint en 1647 comme compartiment central d’un plafond de l’hôtel de Gaspard de Fieubet (1577-1647), trésorier de l’Épargne et conseiller d’État, à Paris, rue des Lions.

L’incendie qui ravagea l’hôtel Lambert, à Paris, en juillet 2013, et détruisit en grande partie le plafond du cabinet des bains a replacé Eustache Le Sueur dans une tragique actualité. Il s’agissait du seul de ses décors encore conservé in situ. Tous les autres, depuis longtemps, ne subsistent plus qu’à l’état de fragments. Outre ceux de l’hôtel Lambert (Histoire de l’Amour, Muses…) et de la chartreuse de Paris (Vie de saint Bruno) visibles au Louvre, plusieurs éléments de plafonds ou de boiseries provenant de demeures parisiennes sont dispersés dans les musées d’Europe et d’Amérique. Les tableaux d’autel ou de dévotion ont mieux traversé les siècles, quoique séparés de leurs emplacements d’origine, à l’image de Saint Paul à Éphèse peint pour Notre-Dame de Paris (Louvre) ou de Saint Pierre ressuscitant Tabitha pour Saint-Étienne-du-Mont (Toronto). L’étonnante notoriété du peintre, qui se renforça au long des XVIIIe et XIXe siècles, n’a donc pas suffi à préserver son oeuvre des aléas de l’histoire.

Fils d’un tourneur en bois, formé dans le prestigieux atelier de Simon Vouet, Eustache Le Sueur semble n’avoir jamais quitté Paris, à une époque où l’attraction de Rome sur les peintres était pourtant si forte. Il connut très tôt le succès, remporta de nombreuses commandes et eut peine à y répondre durant sa brève carrière. Très marqué à ses débuts par le style large et sensuel de son maître, il devait ensuite évoluer vers un art plus  réfléchi, nourri des leçons de Raphaël et de Poussin. Ce changement se situe vers 1644-1645, peu d’années avant la création de l’Académie royale de peinture et de sculpture, dont Le Sueur fut l’un des fondateurs, en 1648. Il est perceptible au cours de l’exécution des vingt-deux épisodes de  la Vie de saint Bruno comme de la suite du Songe de Poliphile, et se signale par une nouvelle conception de l’espace, plus raisonné, et de la figure, plus strictement dessinée. Une tension nouvelle vient remplacer le lyrisme spontané des toutes premières oeuvres.

L’élégance de cet art, héritée de l’école de Fontainebleau, tend à allonger les silhouettes, à découper les  profils, à jouer des lignes courbes et des surfaces colorées. En témoignent des compositions aussi méditées que Salomon et la reine de Saba (Birmingham) ou Jésus chez Marthe et Marie (Munich). Le peintre semble rechercher de plus en plus la simplicité, retrancher le superflu au profit de modulations exquises (Annonciations de Toledo et du Louvre, Déposition de Croix du Louvre). Au point que l’on a pu qualifier certaines de ses dernières productions de « primitives », au prix d’un certain malentendu : Le Sueur n’est pas un nouveau Fra Angelico mais, comme plus tard Ingres, un chercheur toujours insatisfait qui tend sans cesse au plus grand raffinement. Les Muses destinées à l’hôtel Lambert en témoignent : dessins préparatoires et repentirs de dernière minute racontent l’évolution des compositions vers plus d’équilibre et de justesse. Qu’il s’agisse de groupes ou de figures isolées, le peintre leur confère une sorte de nécessité plastique, sans se départir pour autant d’une grâce souriante. Celle-ci répondait aux attentes de la riche clientèle parisienne que Le Sueur avait su séduire.

Parallèlement, on sent pointer de nouvelles ambitions auxquelles la mort prématurée de l’artiste devait mettre un terme. Sa renommée le fit choisir pour diriger des entreprises d’envergure : cartons de tapisseries pour l’église Saint-Gervais-Saint-Protais (deux seulement furent réalisés), décors des appartements d’Anne d’Autriche et du jeune Louis XIV au Louvre. Dans les premiers, il se mesure à un modèle suprême : la tenture des Actes des Apôtres de Raphaël. Pour les seconds, il fournit des compositions d’une grande variété, connues seulement grâce à des dessins et quelques épaves. L’artiste manifeste désormais un talent d’envergure, capable de passer de la majestueuse ordonnance de l’allégorie à l’agrément du décor. Avant Le Brun, Le Sueur a ainsi pu concevoir des ensembles où dialoguent l’histoire et l’ornement, le principal et l’accessoire. Son style, qui privilégie la clarté, celle des contours comme celle du coloris, se comprend dans le contexte parisien des années 1640-1650, époque de la fin du règne de Louis XIII, puis de la régence d’Anne d’Autriche et du ministère de Mazarin. On a avancé pour le qualifier le mot d’atticisme, qui renvoie non seulement à l’art antique dans ce qu’il a de plus concis et de plus pur, mais aussi à ce souci de bien dire et d’écrire élégamment, caractéristique de la génération qui prépare directement celle des Molière, des Racine et des Boileau.

 

Alain Mérot
professeur d’histoire de l’art moderne
université de Paris-Sorbonne

 

Voir Célébrations nationales 2005

Source: Commemorations Collection 2016

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