Page d'histoire : Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon, dit Henri Saint-Simon Paris, 17 octobre 1760 - Paris, 19 mai 1825

De nos jours reconnu à travers le monde comme l’une des figures ancestrales à la fois du libéralisme et du socialisme, Saint-Simon a longtemps été déconsidéré par les feux croisés des deux camps et par les palinodies de ses disciples successifs, d’Augustin Thierry et d’Auguste Comte aux multiples saint-simoniens posthumes qui se sont réclamés de lui.

De récentes exégèses tendent cependant à faire ressortir le caractère incisif et cohérent de sa pensée, construite à rebours de la propension du sens commun, dit-il, « à traiter d’utopie tout projet de perfectionnement important de l’ordre social ».

Officier en Amérique auprès de La Fayette, et partageant son enthousiasme pour la jeune République des États-Unis, Saint-Simon rompt avec les idées et les intérêts nobiliaires chers à son arrière-cousin, le duc de Saint-Simon, le mémorialiste, en participant pendant la Révolution à la spéculation sur les biens des émigrés et de l’Église, confisqués et vendus par l’État. Puis il se ruine lui-même en dilapidant la fortune ainsi acquise pour soutenir une ambition de gloire marquée, de son propre aveu, au coin de quelque folie : devenir l’homme qui aura su réformer la science de son temps et, par là, terminer la Révolution en éclairant le chemin d’une véritable réorganisation sociale.

Dès lors, Saint-Simon publie brochure sur brochure pour tester une philosophie « positive » qu’il remet sans cesse sur le métier.

Parti d’hypothèses organicistes empruntées à la physiologie (Introduction aux travaux scientifiques du dix-neuvième siècle, 1808), il en arrive, dans une seconde période, via la science économique naissante, à mettre en évidence le rôle central de l’industrie dans la société (Du système industriel, 1821-1822). Il invente alors et dénomme une catégorie sociologique nouvelle, « les industriels », qui réunit ingénieurs et banquiers, négociants et agriculteurs, artisans et fabricants, ouvriers, savants et artistes. Sa fameuse comparaison de la cour, de l’État et de l’Église avec les improductifs bourdons dont les abeilles se débarrassent pour le plus grand bien de la ruche, incite lesdits « industriels » à prendre conscience de leur force pour s’emparer enfin du pouvoir politique.

La clé de voûte du système est installée dans un ultime dialogue, où le philosophe prend plaisir à mettre en scène un conservateur et un novateur s’accordant sur la thèse que l’indépassable principe chrétien de la fraternité entre les hommes ordonne d’organiser la société « de la manière la plus avantageuse au plus grand nombre ». Conclusion, des plus subversives : l’avenir appartiendrait à un christianisme rénové, promu « la religion universelle et unique », qui fusionnerait toutes les croyances autour d’un seul et même but, « l’amélioration de l’existence morale et physique de la classe la plus nombreuse » et « la plus pauvre » (Nouveau christianisme, 1825).

Philippe Régnier
directeur de recherche au CNRS

Source: Commemorations Collection 2010

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