Page d'histoire : Fondation du quotidien Le Temps 1861

Immeuble construit pour le journal Le Temps, avec sa célèbre horloge  
Paris, rue des Italiens
© MCC-DGP-Célébrations nationales, Photo Charles-Louis Foulon

Le Temps vécut du 25 avril 1861 au 29 novembre 1942. Inspiré par son modèle anglais The Times, il fut un grand organe modéré et libéral, largement ouvert sur l’étranger. Paraissant l’après-midi, il était une source irremplaçable pour ses confrères parisiens et provinciaux du lendemain matin. De grand format (55 x 72 cm), austère dans sa présentation, sans illustrations ni gros titres, et sérieux dans ses analyses, il prétendait « dire le droit républicain » en politique intérieure et il fut souvent le porte-parole semi-officieux de la diplomatie française à l’étranger.

Il se vendait trois fois plus cher que les quotidiens populaires et ses tirages étaient bien inférieurs à son audience : 3 600 à l’origine, 10 000 en 1869, 25 000 en 1910, 60 à 80 000 dans l’entre-deux-guerres, à peine 10 000 de son repli à Lyon en août 1940 à son sabordage en 1942, 18 jours après l’entrée des Allemands en zone libre. En 1911, il s’était installé dans ses propres locaux neufs de la rue des Italiens.

Son fondateur, Auguste Nefftzer (1820-1876), protestant alsacien, hégélien spiritualiste, en fit l’organe d’une ferme opposition au Second Empire et à sa politique extérieure hasardeuse. Découragé par la défaite et la perte de l’Alsace en 1871, il céda la direction du journal en 1872 à Adrien Hébrard (1834-31 juillet 1914). Celui-ci, jovial d’apparence et discret dans ses entreprises, sénateur de la Haute-Garonne de 1879 à sa mort, conforta son influence et en fit l’organe de référence de la IIIe République. L’anonymat de ses articles politiques, autre similitude avec The Times, accroissait son autorité ; son « bulletin de l’étranger » en première page, première colonne, donnait le ton de la diplomatie française : lors de la conférence d’Algésiras (1906), le chancelier allemand Bülow disait que Le Temps était la « sixième puissance européenne ».

Dans l’entre-deux-guerres, ses tirages augmentèrent mais les avatars de l’héritage d’Hébrard firent tomber la société éditrice entre les mains de confédérations du grand patronat français : après avoir écarté les fils d’Adrien, elles mirent officiellement à sa tête en 1931 Émile Mireaux (1885-1969) et Jacques Chastenet (1893-1978). En réalité Le Temps évolua alors vers la droite et s’opposa en 1924 au Cartel des gauches et, en 1936, au Front populaire. Quant à ses positions diplomatiques, elles finirent par se confondre avec celles de la Grande-Bretagne. Après la défaite, affaibli, sa diffusion limitée à la zone libre, le journal rallia la cause du gouvernement de Vichy.

Après la Libération, le général de Gaulle et aussi une bonne partie de l’opinion regrettaient l’absence dans la nouvelle presse d’un journal de référence sérieux et sans passion partisane : c’est pour pallier ce manque que Le Monde fut créé le 19 décembre 1944. Sous la direction d’Hubert Beuve-Méry (1902-1989) qui, ancien correspondant du Temps à Prague, avait démissionné en 1938 par refus de la politique munichoise, la nouvelle rédaction amalgama des journalistes de l’ancien titre et de plus jeunes Résistants : elle s’installa dans les locaux de la rue des Italiens.

Pierre Albert
professeur émérite de l’université Panthéon-Assas

Source: Commemorations Collection 2011

Liens