Page d'histoire : Invention du stéthoscope par René Laennec Octobre 1816

Octobre 1816 : un médecin se rend à pied au chevet d’une jeune cardiaque. Il traverse la cour du Louvre et voit, sur un tas de décombres, des enfants en train de jouer. L’un d’eux gratte l’extrémité d’une poutre. Son complice, l’oreille collée à l’autre bout, s’esclaffe du vacarme que cela fait. Peu après, ce même médecin pose l’extrémité d’un cahier roulé très serré sur la poitrine de sa patiente, tandis que son oreille reste appliquée à l’autre bout. Des sons lui parviennent, nets, amplifiés : les bruits du coeur, le murmure pulmonaire, comme « le bruit d’un souffl et dont la soupape ne ferait aucun bruit ». Le rouleau sera vite un cylindre en bois, appelé « stéthoscope » (du grec, examen de la poitrine), sa version biauriculaire (1855) est celle que nous connaissons. Le médecin, c’est Laennec (1781-1826). L’objet tombe à point, porté par le renouveau de la pensée médicale. La classification des plaintes du consultant, les symptômes (penser à Molière), ne peut plus suffire.

En 1761, l’Italien Morgagni publie le recueil de centaines d’autopsies. Il y décrit avec soin les dommages subis par les organes des défunts (anatomopathologie). Une idée-force alors s’impose : ces mêmes organes lésés ne font-ils pas « signe » du vivant du malade ? Le médecin doit les épier, ces signaux, grâce à ses cinq sens. L’enseignement de la médecine se fera désormais au lit du malade (observer, palper, compter, mesurer). Les salles d’autopsie s’ouvrent, au nom de la méthode anatomo-clinique. Le corps malade livre ses secrets. Le thorax, cependant, en raison de son cadre osseux, résiste aux chercheurs de signes que sont les Bichat, Corvisart, Bayle. L’un d’eux, Laennec, maigre Breton venu à pied à l’École de médecine de Paris, a déjà étonné par l’originalité de ses publications : cirrhose, péritonites, parasitoses. Le voici qui offre avec le stéthoscope une porte d’entrée inattendue dans le sanctuaire thoracique.

Les applications de l’outil par son propre inventeur forcent l’admiration. On venait juste de lui confier à l’hôpital Necker un service de médecine. Tous les malades y sont auscultés, les morts autopsiés, les résultats corrélés.

En trois ans naît la grammaire d’une trentaine de « signes », d’autant plus précieux s’ils sont spécifiques et sensibles. Exemple : les râles crépitants secs de la pneumonie. Ils identifient souvent une maladie nouvelle, à laquelle il faut trouver un nom. L’ouïe des praticiens s’affine, chaque signe est doté d’une comparaison pittoresque, évocatrice à chacun. La fine fleur médicale accourt de partout auprès de ce médecin qui s’adresse à elle en latin. En 1819, Laennec publie le Traité de l’auscultation médiate. La maladie tuberculeuse y devient une entité unique. La réédition de 1826 s’enrichit d’une classification objective des maladies du coeur et des poumons et de l’auscultation du foetus, trouvaille de l’ami Kergaradec. Tel fut le passage obligé de la médecine, avant que l’on n’identifie les causes des maladies, leur éventuelle contagiosité, et surtout leur traitement. Ce sera l’affaire des deux siècles suivants. L’art médical est devenu la confluence de multiples avancées scientifiques.

 

Étienne Subtil
pédiatre, biologiste

 

Source: Commemorations Collection 2016

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