Page d'histoire : René Leriche Roanne, 12 octobre 1879 - Cassis, 28 décembre 1955

Le professeur René Leriche
photographie de Blanc et Demilly (photographes à Lyon de 1924 à 1962)
Lyon, musée des Hospices civils de Lyon
© Photothèque du musée des Hospices civils de Lyon

Chirurgien et physiologiste. C’est ainsi que René Leriche se définissait et c’est bien ainsi que l’on peut analyser son œuvre. Marier physiologie, chirurgie expérimentale et clinique, était novateur au début du XXe siècle, à un moment où la rapidité opératoire était la règle. Un séjour aux États-Unis en 1913 a influencé Leriche qui estimait que c’était là que se trouvaient « les héritiers chirurgicaux de Claude Bernard ». Après ses études à la faculté de médecine de Lyon, il réalise, au contact de W. Halsted et de H. Cushing, que la chirurgie peut être un outil scientifique privilégié et participer à l’explosion des connaissances dans le domaine de la physiologie.

En 1925, lors de sa leçon inaugurale à la chaire de clinique chirurgicale de l’université de Strasbourg, il affirme que la chirurgie ne doit plus se limiter à la correction ou à l’ablation des lésions anatomiques mais qu’elle doit s’attaquer au traitement des troubles fonctionnels. Son domaine de recherche et de pratique chirurgicale est le système vasculaire et sa commande par le système nerveux sympathique. Ayant constaté l’existence de réflexes vasomoteurs importants lors d’interventions chirurgicales, il émet l’hypothèse que certaines pathologies sont déterminées par ces phénomènes plutôt que par des lésions anatomiques sous jacentes. Une telle conception le conduit à promouvoir des interventions neurovasculaires : en interrompant chirurgicalement le système nerveux sympathique innervant un territoire artériel et tissulaire, il prédit et obtient une vasodilatation et une hyperrhémie qui restaurent en partie la fonction physiologique du tissu irrigué.

Les relations ontologiques, anatomiques et fonctionnelles entre les vaisseaux et les nerfs sont étroites, et sont toujours un sujet actuel de recherche. Leriche a montré la présence de réactions vasomotrices locales indépendantes de la circulation générale, l’existence d’une innervation sympathique des vaisseaux coronaires dont le dérèglement pourrait être à l’origine d’un syndrome angineux, l’origine neurologique de certains troubles vasomoteurs lors de traumatismes.

Il applique avec succès des techniques opératoires nouvelles s’appuyant sur ses recherches sur le contrôle de la vasomotricité par le sympathique. Ces méthodes s’avèrent efficaces – au moins dans un premier temps – dans une variété d’indications telles que l’artérite oblitérante des membres inférieurs, les troubles vasomoteurs post-traumatiques, etc.

En 1939 il succède à Charles Nicolle au Collège de France ce qui lui permet de continuer ses recherches en y créant un laboratoire de chirurgie expérimentale et de conceptualiser ses théories sur la physiologie et la pathologie. Dans le sillage de Claude Bernard, Leriche déclarait que « la maladie apparaît surtout comme une perversion fonctionnelle » ; une simple déviation fonctionnelle étant capable, selon lui, de provoquer la maladie avant de créer des dégâts anatomiques irréversibles. Ainsi, un spasme artériel chronique engendre à la longue des lésions vasculaires, une entorse grave des lésions osseuses.

Les tentatives de Leriche à rétablir une physiologie normale dans diverses situations pathologiques en pratiquant des sections chirurgicales limitées du système nerveux sympathique précèdent de loin la découverte des agents pharmacologiques bloquant sélectivement les différents récepteurs du même système.

La guerre de 1914-1918 et son cortège de mutilés ont amené Leriche à se pencher sur les douleurs des blessés et des amputés. Il fut sans doute l’un des tout premiers chirurgiens à s’intéresser à la douleur – son premier ouvrage sur ce sujet date de 1917 – recourant à l’ablation des plexus sympathiques afin de supprimer une vasoconstriction locale et permettre une vasodilatation. Persuadé que la chirurgie était un procédé contre nature, ce chirurgien a prôné et mis en pratique une chirurgie douce, économe en sang, aussi atraumatique que possible. À l’image de l’homme décidé, réfléchi, généreux et doux qu’il a laissée.

 

Pierre Corvol
membre de l’Institut
professeur au Collège de France
chaire de médecine

Source: Commemorations Collection 2005

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