Page d'histoire : Début de la publication du Grand dictionnaire universel du XIXe siècle de Larousse 1866

Né en 1817 au coeur de la Bourgogne, Pierre Larousse connaît une enfance heureuse entre la forge de son père et l’auberge de sa mère, où s’arrêtent notamment les colporteurs chargés de livres que l’enfant dévore. Son avenir est tout tracé par l’instituteur du village qui lui fait passer le très récent concours de l’École normale d’instituteurs, instauré par Guizot en 1833. Instituteur de son village dès 1838, en butte aux méthodes routinières de l’époque, Larousse préfère rejoindre Paris en 1840 où il sera maître répétiteur à l’Institution Jauffret. On le surnomme alors « le bibliothécaire », tant sa fréquentation des différentes bibliothèques de la capitale est intense. Il commence là, dira-t-il, à accumuler en autodidacte force fiches en vue d’une grande oeuvre : la langue française et l’encyclopédisme le passionnent.

En 1849 paraît son premier manuel, La Lexicologie des écoles primaires – une grammaire où le lexique prend la première place –, puis, s’associant avec Augustin Boyer, il fonde en 1852 une librairie qui va rapidement prospérer, celle-là même qui éditera le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle dont il n’a pas encore l’idée. Pour l’heure, tout en exploitant le succès commercial de la Lexicologie des écoles, il publie en 1853 une Petite encyclopédie du jeune âge, suivie en 1856 par le Nouveau dictionnaire de la langue française, ouvrage de 714 pages, véritable ancêtre du Petit Larousse illustré qui prendra sa suite en 1905. Ce premier petit dictionnaire qui précède le grand – une démarche lexicographique assez rare – offrait un pendant heureux à la Lexicologie des écoles : d’un côté une grammaire, avec ses exercices ; de l’autre un dictionnaire, gage d’autonomie. Ces deux ouvrages constitueront les premières assises financières du Grand dictionnaire à venir, dont le premier volume paraîtra en 1866.

En 1858, Larousse édite une revue, L’École normale, destinée aux instituteurs de France, de Suisse et de Belgique : ce sera le support privilégié du lancement du Grand dictionnaire, auprès des six mille abonnés, dont beaucoup seront sous cripteurs. Le 8 mars 1863, Larousse procède ainsi au premier appel pour ce dictionnaire au titre encore incertain : Dictionnaire universel français, historique, géographique, mythologique, bibliographique, littéraire, artistique, scientifique du XIXe siècle. Et de signaler que, doté d’« une foule de vues nouvelles », il se distinguera des dictionnaires concurrents, parmi lesquels est cité « celui de M. Littré […] actuellement en train de naître ». Cette remarque n’est pas à négliger : deux dictionnaires vont en fait renouveler profondément notre lexicographie, celui de Littré et celui de Larousse, rédigés au cours de la même période.

Malgré le côté tapageur de cette publicité, Larousse ne manque pas de lucidité : si la partie encyclopédique du Grand dictionnaire universel ne laisse pas d’être foisonnante et engagée, ponctuée de réflexions souvent savoureuses, voire excessives, cette dimension encyclopédique – démesurée mais pillée par tous ensuite, tant elle est riche – ne doit pas occulter un autre constat. La première partie de chaque article, consacrée à l’étymologie puis à la langue, se révèle en effet extrêmement fouillée et précise. Elle est même souvent plus moderne que celle du Dictionnaire de la langue française de Littré, dont la grande qualité réside dans la perspective historique et positiviste, assortie de citations bien référen cées mais presque exclusivement choisies dans la période classique. Alors que, de son côté, Larousse puise utilement dans la littérature contemporaine, tout en ne négligeant en rien la linguistique historique, en pleine expansion.

En 1863 n’était annoncé qu’un « grand in-4o à 4 colonnes », correspondant à la parution de quinze « fascicules de 25 feuilles ». En réalité, lorsque paraîtra le premier volume en 1866, c’est une tout autre aventure qui commence. En 1876, un an après le décès de Pierre Larousse, était ainsi publié le quinzième et dernier volume du Grand dictionnaire universel, suivi de deux Suppléments parus respectivement en 1878 et 1890. Au total, dix-sept volumes in-quarto, 524 fascicules, 24 036 pages, 483 millions de signes typographiques… Certes, décrivant son village natal, il ne peut s’empêcher de vanter les asperges qui « y sont douces, parfumées, extrêmement savoureuses », « filles du printemps » qui « s’y trouvent tellement chez elles, qu’elles poussent d’elles-mêmes au milieu des prairies, comme les belles courtisanes d’Athènes poussaient naturellement à Corinthe ». Aucun doute, Larousse a le propos métaphorique, mais la description de la langue y est très riche et l’encyclopédie solide. On passera sur l’absence de concision : il a forgé un monument qui, dans son sillage, a fait naître une très grande maison lexicographique éponyme, faisant autorité et désormais vieille d’un siècle et demi.

 

Jean Pruvost
professeur des universités
directeur du laboratoire CNRS Lexiques Dictionnaires Informatique
directeur éditorial des éditions Honoré Champion

 

Voir Célébrations nationales 1994, p. 90 ; 2006 ; 2010 et Commémorations nationales 2013

Source: Commemorations Collection 2016

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Pruvost, Jean

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Dictionnaire

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