Document d'archives : Entretien d’Alexandre Ricard, président directeur général de Pernod Ricard.

Contenu :

  • Présentation du témoin (00:00:00 - 00:00:51). Alexandre RICARD est Président directeur général du Groupe Pernod-Ricard. Il a intégré le groupe en 2003 après un parcours en conseil en stratégie fusion et acquisition. Il a travaillé partout dans le monde, notamment en Asie et en Irlande, avant de travailler au siège.
  • Rôle et responsabilités dans l'entreprise (00:00:52 - 00:01:12). Alexandre RICARD a la responsabilité de mener une équipe de 18 000 personnes vers le leadership de l'industrie des Vins et Spiritueux.
  • Prise de conscience de la gravité de la situation pour l'économie et l'entreprise (00:01:13 - 00:02:46). Alexandre RICARD rappelle que Pernod-Ricard est un groupe mondial, dans toutes les régions : un tiers en Europe, un tiers en Asie et un tiers en Amérique. Il précise que tout a commencé avec la Chine, où ils ont une grande organisation avec 1000 salariés et une part de marché de 50% (le deuxième plus grand marché du groupe). Il ajoute qu'ils ont eu des alertes très claires fin décembre, et que dès le mois de janvier ils commençaient à s'organiser par rapport à la crise alors localisée en Chine. Il précise qu'ils achetaient des masques en Europe pour les envoyer en Chine. A la fin janvier, l'épidémie a progressé dans la région asiatique à travers le commerce de détail dans les gares et aéroports (travel retail). Ils ont alors pris conscience de son ampleur, et fin février, ils étaient convaincu que cela allait devenir une crise sanitaire mondiale, et une pandémie.
  • Quelles ont été les réactions à chaud en tant que personne puis en tant que dirigeant ? (00:02:47 - 00:03:55). Alexandre RICARD affirme que sa première réaction fut de prioriser la santé et la sécurité (Health and safety first). Il explique les modes de communication, d'abord en interne, notamment au travers d'une vidéo qu'il a réalisé en affirmant que la priorité absolue était la santé, à travers le monde. Ils ont ainsi mis très rapidement en place un certain nombre de mesures afin de sécuriser l'ensemble des collaborateurs.
    Alexandre RICARD expose ensuite sa deuxième réaction consistant à assurer la continuité des activités, en s'assurant qu'à travers le monde, les collaborateurs étaient suffisamment en sécurité pour poursuivre leur travail.
  • Conséquences immédiates pour l'entreprise, le dirigeant et les collaborateurs ? (00:03:56 - 00:05:00). Alexandre RICARD évoque un chamboulement radical du jour au lendemain, mais dans des conditions quasi normales. Ainsi, toutes les personnes qui pouvaient télétravailler l'ont fait, et pour les personnes devant assurer toute la chaîne d'approvisionnement, ils ont rapidement collaboré avec les partenaires sociaux afin de mettre en place des mesures de sécurité sanitaire sur les lieux de travail afin de pouvoir continuer à travailler.
  • Et pour vous-même ? (00:05:01 - 00:06:28). Alexandre RICARD revient sur la série de communications internes qu'il a menée, parfois sous forme de vidéos, ou de mails à tous les collaborateurs et de messages destinés au Comité exécutif. Un système de travail en situation de crise a également été mis en place, avec des bureaux exécutifs quotidiens, des Comités exécutifs hebdomadaires, des réunions informelles avec le Conseil d'administration tous les 15 jours.
    Alexandre RICARD précise qu'au bout de 10 jours de confinement ils ont levé 2 milliards d'euros. Il ajoute que la deuxième priorité, après la santé et la sécurité des salariés, était d'assurer la trésorerie du groupe, c'est d'ailleurs la première chose que l'on regarde dans ces périodes là affirme-t-il. Les priorités et les objectifs pour l'organisation et pour les collaborateurs ont été rapidement transmises : en premier, santé et sécurité ; en deuxième, démontrer la résilience du business model en montrant qu'ils savaient gérer la crise, avec la gestion dynamique de leurs ressources. Un format qui va devenir la norme.
  • Les décisions les plus fortes prises au cœur de la crise ? (00:06:29 - 00:08:28). Alexandre RICARD affirme qu'il n'y a pas eu de décisions fortes classiques, mais la mise en place de tout un système avec des réunions quotidiennes, hebdomadaires et bimensuelles, et de garder de cap. Il ajoute que l'essentiel pour lui a été de garder les troupes mobilisées. Il a été très impressionné par la résilience de ces troupes au travers du monde. Il explique l'organisation très décentralisée du groupe malgré la gestion de crise très coordonnée. Cela a permis à l'échelon central de gérer les ressources de façon rapide et efficace. Il ajoute que ce n'est pas en central que l'on peut décider de couper des investissements ici et là. Ils ont su responsabiliser les équipes qui ont pris très vite les bonnes décisions. Ce fut un gros atout. Et cela a occupé la plupart de son temps. Il ajoute qu'au-delà de la crise il a fallu garder le cap sur leur agenda de transformation à plus long terme, qui est donc le troisième objectif. Il s'agit alors de sortir de cette crise renforcés en accélérant l'agenda de transformation du groupe.
  • Les changements qui vont perdurer dans la façon de travail, l'organisation et la gestion de l'entreprise (00:08:35 - 00:12:49). Alexandre RICARD présente trois thématiques. Il affirme qu'il ne s'agit pas de changements de fond et ajoute être convaincu que les crises sont des facteurs d'accélération de certaines tendances, mais n'en créent pas des nouvelles. Il évoque ensuite la première thématique qui s'est fortement accélérée pendant la crise : la transformation digitale, entamée avant la crise, ce qui leur a permis de continuer l'activité. Il y a 4 ou 5 ans le télétravail n'aurait pas été possible de façon aussi naturelle, mais que ce fut possible grâce à tout ce qui a été mis en place depuis en matière de méthodes de communication interne par exemple. Il ajoute que cette crise a permis une véritable prise de conscience globale chez Pernod-Ricard de l'intérêt de cette transformation digitale, jusqu'aux équipes terrain, et de la nécessité d'accélérer leur transformation digitale dans les méthodes de travail et l'interaction avec les consommateurs.
    Alexandre RICARD explique ensuite la deuxième thématique "sustain hability responsability", c'est-à-dire la responsabilité sociétale et le rôle l'entreprise. Il y a également eu une accélération et une prise de conscience des équipes, bien que ce fut là avant, notamment au niveau d'initiatives et d'engagements accélérés. Alexandre RICARD prend comme exemple la fin de l'utilisation des plastiques à usage unique en matière marketing en 2021 au lieu de 2025 initialement prévu. Il précise qu'il y a eu beaucoup d'initiatives de ce type-là. il évoque également le rôle au sens large de Pernod-Ricard au sein des communautés. Sur le terrain ils ont commencé à produire de l'alcool pur pour en faire don pour la fabrication de gel hydroalcoolique (4 millions de litres d'alcool pur), voire pour en produire eux-mêmes (1,3 millions de litres de gel hydroalcoolique).
    Quant à la troisième thématique, Alexandre RICARD évoque la gestion dynamique des ressources, engagée bien avant la crise. Il explique que le monde est tel aujourd'hui que le figer lors d'un processus budgétaire n'a aujourd'hui plus aucun intérêt sauf celui qu'avoir un Framework comme on leur apprend à l'école. Pour lui lorsque l'on signe un jour un budget il est déjà obsolète, et il faut donc rentrer dans cette thématique d'allocation des ressources, de façon dynamique et au fil de l'eau, d'une marque à une autre, d'un canal de distribution à un autre, d'un pays ou d'une région à un(e) autre. Ils ont beaucoup appris dans ce domaine conclut Alexandre RICARD.
  • La plus belle victoire, réussite, fierté (00:12:50 - 00:14:34). Alexandre RICARD affirme que de très loin ce sont les équipes. Il aborde le sujet de la culture d'engagement très fort chez Pernod-Ricard. Il précise que les équipes sont sans cesse extrêmement engagées, taux mesuré tous les deux ans avec des records aux alentours de 90%. Il ajoute qu'une crise permet toujours d'apprécier la résilience des équipes, et il en a été formidablement impressionné, aux quatre coins du monde, par le niveau d'engagement des équipes terrain, usines, télétravail, à toutes les couches de l'entreprise. Il rappelle qu'il n'y a pas eu un jour pendant la crise sans que toute la chaine d'approvisionnement ne fonctionne. Il a donc eu une continuité envers et contre tout, tous les jours. Et c'est le plus grand facteur de fierté pour lui.
  • Actions mises en place au déconfinement (00:14:35 - 00:18:19). Alexandre RICARD précise que la crise n'est pas finie. Il explique qu'il a mis en place d'un petit réseau d'experts dès le début de la crise, constitué de patrons de laboratoires pharmaceutiques, d'économistes, de psychologues, en réunissant chacun d'entre eux séparément. De cette manière, ils élaborent des scénarios, dont le central chez Pernod-Ricard, depuis le confinement mi-mars 2020, de 18 mois de crise et donc de disruption dans les activités. Aujourd'hui, à 12 mois de la crise, il pense qu'il y en a encore pour 6 mois de difficultés, puis après, ce sera un semblant de normalité. Alexandre RICARD précise bien que les confinement et déconfinement ne constituent pas un sujet de préoccupation, mais il s'agit de maintenir le cap sur les priorités fixées tant que la crise est là. Il revient sur le tryptique évoqué précédemment, qui est en ligne de mire. Il ajoute un point d'attention, lié au confinement/pas confinement et aux incertitudes : la santé mentale. Il évoque ce sujet sanitaire sur lequel ils ont beaucoup réfléchi : tables rondes, communication interne, apéros zoom, partenariats sur la santé physique afin de pouvoir faire du sport, méditer, etc. Il revient cependant sur la réalité avec le besoin fort de lien social, surtout chez Pernod-Ricard dont la valeur est "créateur de convivialité", auquel le virus a déclaré la guerre. Et c'est l'obsession aujourd'hui du groupe, de continuer sur ce cap durant 6 mois.
  • Impact stratégie entreprise à moyen et long terme (00:18:20 - 00:20:08). Alexandre RICARD évoque la rédaction qu'il effectue en ce moment, et depuis la crise, de communiqués (12 depuis la crise) sous forme vidéos, mails, etc. au Comité exécutif ou aux collaborateurs. Il rédige actuellement un nouveau mémo s'intitulant "Never let crisis go wasted", un état des lieux des principales leçons de cette crise et en premier lieu, le sujet des personnes sur qui tout repose, et dont la résilience ne fait que renforcer leur importance. Il ajoute préférer avoir une stratégie correcte avec des équipes remarquables, que la plus belle stratégie de la planète avec équipes incapables de la mener à bien. Ainsi la principale leçon de cette crise est de continuer de faire confiance aux équipes, de s'assurer qu'elles soient motivées et bien traitées. Il ajoute penser que l'ensemble des collaborateurs du Groupe, pendant les périodes difficiles, ont eu un soutien à tout point de vue.
  • Enseignements personnels tirés de la période (00:20:09 - 00:22:52). Alexandre RICARD aborde le sujet délicat des décisions difficiles à prendre en période de crise, dont certaines plus dures que d'autres. Il évoque la solitude parfois à prendre ces décisions. Il ajoute que c'est la raison d'être d'un patron, au niveau d'une entreprise ou d'un pays. Il évoque la responsabilité qui repose sur les épaules du dirigeant car les décisions sont prises in fine par une personne. Alexandre RICARD affirme qu'il a appris qu'il aimait finalement les crises, il nuance car il ne faut pas les célébrer, mais que lorsqu'une crise éclate, il faut en profiter en s'efforçant de se concentrer sur les priorités qui ont été menées à bien. Ils sont sortis plus forts de la crise, ils voient "la lumière au bout du tunnel". Il se dit extrêmement positif et évoque le vaccin qui était inexistant en 2020, la connaissance approfondie du virus, les traitements améliorés à l'hôpital. Il évoque donc l'adaptation remarquable de l'être humain à cette ère post Covid-19. Alexandre RICARD dit se projeter dès maintenant dans l'après crise afin qu'ils soient beaucoup plus forts en termes d'organisation et d'équipes qu'il y a un an.
  • Conclusion, pourquoi avoir accepté de répondre à cet appel à témoignages ? (00:22:53 - 00:23:51). Alexandre RICARD a souhaité témoigner pour rendre hommage à ses collaborateurs, qui grâce à leur résilience et leur engagement, ont permis de traverser remarquablement bien la crise. Il affirme qu'ils n'en seraient pas là aujourd'hui sans eux, car faisant partie des industries avec des nombreux canaux de distribution, ils ont été très fortement touchés (travel retail, cafés, bars, hôtels, restaurants), et c'est grâce à l'intégralité des collaborateurs qu'ils y sont arrivé. C'est une façon de leur rendre hommage.
  • Autres sujets (00:23:52 - 00:24:59). Alexandre RICARD ajoute qu'il faut apprendre à vivre avec les crises. Il évoque la génération qui a vécu l'après Seconde guerre mondiale où l'intensité et la volatilité au niveau de l'incertitude et des crises a connu un plus bas historique depuis que l'histoire humaine existe. Et cela est révolu. Maintenant, ils ont tiré les leçons de la crise financière de 2008-2009, ils ont abordé cette crise en santé financière beaucoup plus sereine que la précédente. Alexandre RICARD conclut en affirmant qu'il est déjà en train de préparer la prochaine crise, car il faut vivre avec et s'adapter en permanence.

Cote :

2021 12 43

Description :

Mise en forme :
Classement définitif

Conditions d'accès :

article numérisé (numérisation en ligne ou à demander auprès des ANMT)

Description physique :

Entretien filmé conduit par KPMG. Durée : 00:24:57.

Institutions :

Pernod Ricard

Type de document :

document audiovisuel

Où consulter le document :

Archives nationales du monde du travail - ANMT

Archives nationales du monde du travail - ANMT

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