Document d'archives : Entretien de Jacques Aschenbroich, président directeur général de Valeo.

Contenu :

  • Présentation du témoin (00:00:00 - 00:00:30). Jacques ASCHENBROICH est Président Directeur Général de Valeo depuis mars 2009.
  • Poste et gouvernance du groupe (00:00:31 - 00:00:46). Jacques ASCHENBROICH est aussi Président du Conseil d'administration et Directeur Général. La gouvernance du groupe est conjointe.
  • Activité de l'entreprise (00:00:47 - 00:01:02). Jacques ASCHENBROICH décrit l'entreprise comme équipementier automobile et partenaire de l'ensemble des groupes automobiles dans le monde :  en France, en Europe, en Asie, en Amérique du Nord et du Sud.
  • Situation de Valeo début 2020 et prise de conscience de la gravité de la situation (00:01:03 - 00;03:56). Jacques ASCHENBROICH évoque un point particulier. Il précise que Valeo est une entreprise mondiale, présente en Chine. Ils ont donc été impactés par la Covid-19 dès la fin du mois de janvier 2020. Ils ont pu s'y préparer dès février avec la mise en place d'un protocole santé par et pour la Chine. Ils étaient prêts et s'y attendaient pour l'étendue hors de Chine, dans les autres pays asiatiques notamment en Corée et au Japon, puis en Europe et en Amérique du Nord.
    Jacques ASCHENBROICH ajoute que dans l'entreprise, la gestion des risques a été prise très au sérieux avec le Comité des risques piloté par le patron opérationnel du groupe : 6 ou 7 réunions y sont consacrées chaque année, la cartographie des risques est présentée au comité d'audit et une fois par an au conseil d'administration. Elle concerne tous les risques : cybersécurité, fermeture d'usine... Ils avaient étudié depuis de nombreuses années comment on ferme une usine et comment on l'a réouvre. Fin janvier, les usines ont fermé en Chine, puis partout dans le monde (USA, Brésil, Inde) au mois de mars, en tout 154 usines.
  • Confinement, premières réactions (00:03:57 - 00:07:08). Jacques ASCHENBROICH affirme qu'ils étaient prêts du fait de la mise en place du protocole santé, qui a été très efficace en Chine. La pandémie est apparue à Wuhan, capitale de la province d'Hubei, où ils ont 2000 collaborateurs (sur un total de 20 000 collaborateurs en Chine). Ils savaient donc très bien ce qu'il se passait avec quelques personnes infectées et aucun décès. Ailleurs, il n'y a eu aucun cas de contamination parmi leurs collaborateurs. En dehors de l'Hubei, la situation a été rapidement contrôlée, avec une réouverture progressive des usines Valeo à partir du 10 février 2020, le 10 mars dans l'Hubei, puis à Wuhan le 22 mars. En 40 jours, l'intégralité des usines, centres de recherches et sièges sociaux chinois ont été réouverts. En parallèle, leurs fournisseurs ont progressivement redémarré leurs activités.
    Lors du confinement en Europe, plus brutal, le protocole santé a dû être implanté et négocié avec les syndicats, et mis en place progressivement au fur et à mesure de la disponibilité des masques. Ils avaient des masques grâce à la Chine. Ensuite, un protocole de redémarrage des usines a été mis en place en France, en liaison avec les syndicats. Il fut mis en place dans l'ensemble des pays du monde et est toujours en place. En Europe, 10 usines ont continué à fonctionner.
  • Confinement, conséquences immédiates entreprise et collaborateurs (00:07:09 - 00:08:38). La particularité en France et en Europe, c'est qu'il a fallu beaucoup communiquer. Il s'attendait à ce qu'il se passe quelque chose, connaissant les effets des pandémies (rythme et gravité), sans pouvoir en anticiper les effets. C'est le comité santé qui a mis en place le protocole en Chine, dans le groupe dès février. avec très rapidement la fermeture des usines, puis la préparation du redémarrage. avec la priorité absolue de protéger la santé des collaborateurs en Chine, en Corée et au Japon. La communication avec les cadres et les syndicats en France a été importante, au sein du Comité Groupe et d'un comité européen, dont il était le leader de la communication.
  • Nouveaux modes de communication (00:08:39 - 00:10:46). De nouveaux canaux ont été utilisés, faute de communication physique, mais le WebEx et le digital étaient déjà utilisés dans le groupe. Une communication WebEx a été mise en place avec les 350 cadres du Groupe, les leaders, et écrite avec les syndicats du comité groupe et le comité européen. Au-delà de la santé, il faut se replacer mi-mars au moment de l'explosion de la pandémie, il y a eu beaucoup d'inquiétude pour la santé des entreprises (et des collaborateurs et de leurs familles évidemment). La question de la solidité de la trésorerie s'est posée. 1,3 milliards de lignes de crédits étaient disponibles, la Direction Financière a de plus négocié 1 milliard de crédit supplémentaire. Cette liquidité et cette bonne santé financière permettaient de passer la crise sans incidents de paiement par leurs propres moyens, sans avoir recours au prêt garanti par l'Etat (PGE), au report de charges sociales ou fiscales. Il a fallu cependant rassurer les collaborateurs sur leur santé et sur la sante financière de l'entreprise.
  • Décisions les fortes (00:10:47 - 00:13:18). Il a fallu fermer 154 usines et donner des priorités à l'ensemble des collaborateurs et managers : la protection de la santé des collaborateurs d'abord, la continuité du business venant ensuite. 10 usines en Europe (en Allemagne, Pologne et République Tchèque) dont les 5 en France qui ont du continuer malgré la crainte car entreprise indispensable pour livrer ses clients pour l'exportation en Chine/Corée/Japon, pas les clients européens eux arrêtés. Indispensable de continuer à produire pour ne pas arrêter les clients car ça aurait été là vraiment la fin des usines et du métier. Ainsi que la situation financière car incertitude sur le paiement provenant des clients, le rythme du chômage partiel, etc..
  • Réorganisation du travail (00:13:19 - 00:15:32). Jacques ASCHENBROICH précise qu'il a fallu variabiliser les coûts, une partie des collaborateurs ont continuité leurs activités en télétravail (fonctions support, direction financière, recherche et développement). Les projets menés par 34000 ingénieurs et cadres, dont 20 000 chercheurs, ont été arrêtés. Des gestions différentes (ex. : chômage partiel,  licenciements temporaires) ont été mises en œuvre en fonction des pays concernés. Il a également fallu adapter les coûts directs et indirects de production et de structure à la situation réelle du marché et du chiffre d'affaires, qui a chuté en avril 2020 de 85%, puis de 50% au deuxième trimestre. Ce fut un ralentissement brutal.
  • Changements qui vont perdurer (00:15:33 - 00:21:03). Jacques ASCHENBROICH se pose la question autrement, en s'interrogeant sur les changements profonds dans son métier et leur influence sur la façon de travailler. Certains phénomènes s'accélèrent, comme le positionnement sur la réduction de CO2 et les véhicules plus respectueux de l'environnement. L'environnement et la sécurité constituent deux lignes de forces de Valeo qui vont s'accélérer.
    Le rebond des activités, constaté au troisième trimestre 2020, a été généralement plus rapide qu'imaginé. Il lui semble que les modèles économiques sont complètement cassés aujourd'hui. Il faut s'adapter à la réalité telle qu'elle est et pas celle qu'on imaginait qu'elle pouvait être et n'a pas de doutes sur la pérennité des opérations et le fait d'avoir effectuer les bons choix (notamment sur la pérennité de l'outil industriel).
    Il s'interroge sur le télétravail, qui a suscité un enthousiasme profond en mai et juin 2020. Il ne croit pas à un recours au télétravail à 100%. Le bon équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle est à trouver. De plus, dans un groupe industriel, les 3/4 des collaborateurs travaillent en usines, et les fonctions supports opérationnelles ne peuvent pas être en télétravail.
  • Plus belle victoire (00:21:04 - 00:22:34). Jacques ASCHENBROICH affirme avoir réussi à entrainer l'ensemble des équipes avec le protocole santé et ses audits réalisés partout, tout en assurant la pérennité de l'entreprise et la continuité des activités. Ce sont ses deux satisfactions, avec la responsabilité sociale par rapport à l'ensemble de l'environnement. Il mentionne les 80 000 masques donnés aux systèmes sanitaires proches des usines, les collaborateurs en capacité d'en fabriquer pour les donner dans leur environnement. Avec Air liquide, Schneider et PSA, 10 000 respirateurs ont été fabriqués en 5 semaines pour les hôpitaux français. C'est une grande fierté, surtout pour les collaborateurs.
  • Déconfinement, actions mises en place (00:22:35 - 00:25:20). Jacques ASCHENBROICH précise que la France compte 10% des collaborateurs et 5% des activités. Valeo est une entreprise française, dont il faut avoir une vision globale et mondiale. Il a fallu redémarrer 154 usines : mi-mai 2020 en Europe, fin mai aux USA, avec la principale préoccupation d'assurer la santé des collaborateurs, tout en assurant la Supply Chain, la gestion des fournisseurs, la variabilisation des coûts. Il n'y a eu aucun problème, d'une part grâce aux personnes qui ont travaillé nuits et jours, et d'autre part grâce au travail d'analyse des données en interne. Avant la crise, 8 millions de pièces étaient produites, avec une entrée de 2 milliards de composants dans les usines chaque jour.
  • Impact 1er volet crise sur la stratégie de l'entreprise (00:25:21 - 00:25:37). Jacques ASCHENBROICH affirme qu'il y a aucun impact. Il précise qu'ils sont sur les bons créneaux, qui se confirment après la crise, et il n'en avait aucun doute.
  • Enseignements tirés de la période (00:25:38 - 00:27:27). Jacques ASCHENBROICH s'interroge sur la réponse des pouvoirs publics à la situation de crise et compare le deuxième confinement avec le premier. Il compare la réponse du monde en dehors de l'Asie, à savoir un arrêt global total des activités. Il aurait peut-être fallu un arrêt plus ciblé (par tranches d'âges), avec la mise en place de protocoles de santé plus rigides dès le départ pour éviter cet arrêt colossal de l'ensemble de l'économie. Cela mérite une réflexion à l'échelle d'un pays, voir au niveau mondial. Une entreprise n'a pas de mal à mettre en place un protocole de santé. Il va falloir comparer les deux confinements afin de savoir si on aurait pas pu agir autrement.
  • 2e confinement, appréhension des prochains mois (00:27:28 - 00:30:03). Jacques ASCHENBROICH évoque la précaution prise, la décision de ne pas alléger le protocole santé et de l'imposer dans les pays comme la Pologne, la République Tchèque, l'Allemagne, l'Autriche ou la Hongrie, qui s'en sont mieux sortis que la France, l'Italie, l'Espagne, la Grande-Bretagne et la Belgique. Les organisations syndicales ont imposé le protocole dans ces pays mieux lotis et non contraints. Le 2e confinement est plus violent pour eux. ce fut un acte volontaire pour anticiper le rebond, être prêts et pouvoir continuer l'activité, car on ne savait pas qu'il y aurait un arrêt brutal. Il faut être irréprochables pour continuer à livrer les clients à l'étranger. 85% de la production française est exportée en Europe. Ils sont prêts pour le second confinement, deuxième phase sans clusters dans les usines dans le monde.
  • Conclusion, sujets à aborder (00:30:04 - 00:31:43). Jacques ASCHENBROICH précise que ce qui s'est passé n'arrive qu'une fois dans une vie professionnelle. Même s'il est arrivé chez Valéo au moment de la crise financière de 2008-2009, cette crise est très différente du fait de l'arrêt brutal des activités, qui nécessite une réflexion collective, à la fois dans les entreprises et dans les collectivités publiques. Une analyse, et non une critique, à froid de ce qu'il s'est passé, notamment en perspective d'une nouvelle pandémie. Il faut s'interroger sur la façon de mobiliser, plutôt que d'imposer des mesures, les populations et les équipes dans les entreprises, afin qu'elles prennent des précautions qui ont manqué lors du premier confinement. L'impact sur la dette des pays, et celle de la France en particulier, ne peut pas se reproduire une seconde fois, il faut donc tirer les conséquences de cette crise pour engager de meilleures conditions.
  • Participation au projet de collecte (00:31:44 - 00:32:36). Jacques ASCHENBROICH affirme qu'il trouve le projet intéressant. Il faut analyser ce qui s’est passé, avec toutes les réflexions de cette période, par exemple sur le télétravail, qu'il n'a pas trop subi, puisqu'il est venu travailler sur site tous les jours pour assurer le management de Valeo et prendre les décisions qui s’imposaient. Il faut réfléchir à ce qui s’est passé, l’analyser, le répertorier pour les archives. C’est un exercice d’introspection qui vaut la peine d’être fait.

Cote :

2021 12 24

Informations sur le producteur :

Jacques Aschenbroich devient président directeur général de Valeo en 2006. Fondé en 1923, Valeo est spécialisé dans les équipements automobiles.

Description :

Mise en forme :
Classement définitif

Conditions d'accès :

article numérisé (numérisation en ligne ou à demander auprès des ANMT)

Conditions d'utilisation :

Toute exploitation d’extrait est soumise à l’autorisation préalable des ayants droit. Elle devra faire mention du projet « Mémoire des entreprises au temps de la covid-19 » et de ses partenaires, en les citant. L’exploitation commerciale de ces enregistrements entraînera une négociation entre les coauteurs et le diffuseur.

Description physique :

Entretien filmé conduit par Perles d'Histoire. Durée : 0:32:34.

Institutions :

Valeo

Type de document :

document audiovisuel

Où consulter le document :

Archives nationales du monde du travail - ANMT

Archives nationales du monde du travail - ANMT

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