Document d'archives : Chapitre VIII - Commissaires alcades

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Dans l'Assemblée de 1581, les États de Bourgogne, « pour cognoistre plus clairement l'administration et le mesnage des Élus », dont les tendances à se substituer à eux se manifestaient déjà sensiblement, prescrivirent à ces derniers de faire dresser « l'estat au vray de leur administration » et de le soumettre dix jours au moins avant la prochaine Assemblée à une commission formée d'un député de chacun des trois ordres. Celle-ci, après examen fait à vue des pièces, devait en rendre compte aux États et, sur leur rapport, décharge était accordée aux Élus. C'est là l'origine d'une institution que certains auteurs ont cru par erreur aussi ancienne que les États eux-mêmes. Ses membres, après avoir été désignés sous le nom de commissaires vérificateurs, prirent peu à peu et sans qu'on puisse en préciser l'époque, celui d'alcades, emprunté à la justice espagnole. Quoi qu'il en soit, les États n'eurent qu'à se féliciter de la mesure, car bientôt ils doublèrent le nombre des alcades, et quand vint la réunion des États particuliers des comtés d'Auxonne, d'Auxerre et de Charollais, un septième alcade leur fut attribué. Si, comme je l'ai déjà fait remarquer en parlant de la constitution des États, la noblesse pouvait choisir indistinctement son Élu parmi tous les membres qui composaient sa Chambre, celui du clergé devait être pris alternativement parmi les évêques, les abbés et les doyens des chapitres, et les villes de la grande roue concouraient seules à tour de rôle à la nomination de l'Élu du tiers-état. La même règle fut appliquée à l'élection des alcades, mais quand on augmenta leur nombre, il fut admis que les députés des églises, les prieurs et les députés des villes de la petit e roue, exclus de la Chambre des Élus, seraient représentés tour à tour dans celle des alcades. Les commissaires alcades, on s'en convaincra en parcourant leurs cahiers de remontrances, s'efforcèrent de justifier le but de leur institution. Longtemps leur contrôle sévère, qui portait sur tous les actes accomplis durant la triennalité, fut un frein pour les Élus toujours disposés à dépasser leur mandat pour complaire au pouvoir. « Nous sommes, disaient les alcades de 1677, les veux par lesquels les États voient le bien et le mal, et si les commissaires des précédentes triennalités se fussent acquittés de leur devoir, la province ne serait pas chargée comme elle l'est en ce moment ». Hélas ! Cette remarque était bien fondée. Déjà sous Colbert, les alcades n'avaient plus l'influence nécessaire pour accomplir leur mission. Dans cette société toute de privilège et où la prérogative royale n'admettait plus d'autre initiative que la sienne, l'indépendance des alcades portait déjà ombrage. On ne tolérait pas qu'ils se permissent, sous prétexte de défendre les privilèges de la province, de blâmer des actes qui, s'ils étaient contraires à la volonté des États, avaient été dictés par la royauté devenue maitresse absolue au sein de la Chambre. Pille était en effet parvenue à s'attribuer la nomination des Élus des trois ordres, jusque-là choisis librement dans leurs collèges. Aussi les députés de la Chambre des comptes et l'Élu du roi n'avaient-ils rien à leur envier comme indépendance ; les secrétaires-greffiers, le trésorier général avaient acquis leurs charges à titre d'office. Bref, toute cette Chambre se trouvait dans la main non seulement du gouverneur, mais dans celle autrement puissante de l'intendant, c'est-à-dire de l'agent direct du pouvoir royal. Sous cette double pression, et tout en conservant les apparences de la liberté, les États descendirent peu à peu au degré d'une Assemblée qui votait pour la forme un impôt qu'elle ne débattait plus ; délibérait sur des questions préparées en dehors d'elle et exprimait des vœux dont on tenait le plus souvent peu de compte. Au reste il était bien difficile qu'il en fût autrement avec une monarchie qui, depuis Henri IV, ne reconnaissait d'autre loi que la sienne, n'admettait plus de résistance à sa volonté. Les États le comprirent. Se taire et obéir leur parurent le plus sûr moyen de sauver ce qui n'était plus que l'ombre des libertés et des franchises de la Bourgogne. Cependant, si limitée que fût désormais la sphère d'action réservée aux alcades, il était difficile qu'il ne se trouvât point d'occasion où l'esprit frondeur bourguignon essayât de se faire jour. Par malheur, les lacunes considérables qui existent dans la série des remontrances antérieures à 1750 ne nous en fournissent qu'un seul exemple, mais il est des plus caractéristiques. Partant de cette idée que le contrôle des alcades n'était plus qu'une vaine formalité, les Élus en exercice, ou plutôt les secrétaires qui étaient l'âme de la Chambre, ne fournissaient guère aux premiers que des renseignements incomplets ou insuffisants. Ils les leur cédaient même volontiers quand ils redoutaient des investigations trop sévères, sachant bien qu'avec une administration aussi changeante que les États, aucune suite sérieuse n'y serait donnée, et que, d'ailleurs, leur responsabilité ne courait aucun risque. L'événement prouva pourtant que cette quiétude était trompeuse. A l'Assemblée de 1739, on avait désigné comme alcades, pour examiner la triennalité qui devait expirer en 1712, savoir : de la part du clergé, MM. Cazotte, chanoine d'Avallon, et Esmonin, prieur de Saint-Symphorien d'Autun : MM. de Ganay et de Brancion-Visargent étaient députés de la noblesse ; MM. Voisenet, maire de Semur-en-Auxois, et Cl. Sauvage, procureur du roi en la châtellenie de Saint-Laurent-les-Chalon, représentaient le tiers-état. Convoqués suivant la règle au mois de décembre 1741, à l'effet de préparer leurs remontrances, ces alcades, dont vraisemblablement la Chambre des Élus se défiait, trouvèrent de la part de celle-ci tant de mauvais vouloir que le terme de leur session s'écoula sans qu'il leur fût possible de réunir les éléments du travail. Les Élus avec lesquels on s'aboucha les bercèrent de belles promesses et finirent par leur refuser toute satisfaction. Le ministre Saint-Florentin même, pressenti à ce sujet, ne daigna point répondre. Ces procédés n'étaient pas de nature à calmer des esprits déjà mal disposés ; aussi les remontrances s'en ressentirent. MM. de Brandon et Sauvage, chargés de leur rédaction, les consignèrent clans un long mémoire qui ne comprenait pas moins de 35 articles, dont nous ne citerons ici que les faits principaux. Ainsi, après l'exposé de ce qui s'était passé à leur égard dans la session du mois de décembre, les alcades passaient en revue chacune des parties de l'administration des Élus. Ils les blâmaient notamment de leur négligence à exécuter les décrets des États touchant les aumônes faites aux hôpitaux. Ils censuraient comme désastreuse pour les finances la coutume de contracter de nouveaux emprunts pour faire face à des remboursements dont la plus grande partie n'était jamais demandée, comme aussi d'anticiper la date de ces remboursements. Ils se plaignaient de l'inexécution des règlements contre l'extension de la culture de la vigne ; de la négligence apportée par l'inspecteur des haras dans la visite des 300 dépôts d'étalons de son département. Ils signalaient les abus de toutes sortes auxquels donnait lieu le service des ponts et chaussées, le défaut d'une direction unique, l'éparpillement des ressources, la multiplicité des agents et leurs violences à l'endroit des communautés. Ils dénonçaient les exactions des receveurs des bailliages, demandaient la diminution de leurs remises, incitant les Élus à solliciter un décret pour réglementer celles du trésorier général. Enfin, tout en reconnaissant « la nécessité de donner aux administrateurs de la province les moyens de soutenir avec dignité et éclat les places qu'ils occupaient », les alcades croyaient devoir appeler l'attention des Élus sur les charges excessives qui pesaient sur la province et ne pas les augmenter par de nouvelles taxations à leur profit. Quand, au 20 mai 1742 (les États devaient s'assembler le 1 juin suivant), les alcades reparurent à Dijon, leur refus d'admettre le commis dont ils avaient eu à se plaindre, le mystère qu'ils affectaient, et que trahirent certaines indiscrétions, donnèrent l'éveil. Les Élus, pressentant le coup dont on les menaçait, et vraisemblablement de concert avec l'intendant, dénoncèrent les alcades au ministre Saint Florentin comme voulant introduire des nouveautés dans leurs remarques et troubler la tranquillité des Etats. Celui-ci, sans plus d'information, écrivit aux alcades une lettre foudroyante. « Sa Majesté, disait-il, désirant que les États se passent à l'ordinaire et de la même manière que du vivant de M. le duc (de Bourbon), elle m'a ordonné de vous marquer que s'il est juste que la vérité dicte vos observations, il n'est pas moins convenable qu'il n'y entre ni malignité, ni aigreur. Si elles excitent le moindre trouble, S. M. se propose de se les faire représenter pour en juger par elle-même, et elles pourraient servir contre ceux d'entre vous qui serez les auteurs de ce qu'Elle y trouverait de répréhensible ». Suivaient des menaces contre l'alcade Sauvage, qui, en sa qualité de roturier, devait paver pour tous. La réponse ne se fit pas attendre. Elle était digne de gens qui avaient la conscience d'avoir rempli un devoir. « Nous n'avons eu d'autres vues, disaient-ils en terminant, que le soulagement de la province dans les choses qui n'intéressent point les droits du Roi. Nous nous sommes renfermés dans les bornes qui nous sont prescrites et par les décrets des États, et par la religion du serment que nous avons prêté ». Toutefois, quelque désir qu'eussent les Élus sortants d'étouffer une affaire dont ils avaient été les instigateurs maladroits, elle n'en eut pas moins un grand retentissement dans toute la province. Ces remarques, abstraction faite de la forme un peu acerbe (on en connaît la cause), étaient en somme l'expression de vérités qu'on n'osait pas dire ; aussi, dans la prévision qu'elles ne seraient point admises, on s'arrachait d'avance des copies. En effet, sur l'invitation du duc de Saint-Aignan, gouverneur, et de l'intendant. M. de Saint-Contest, les alcades furent obligés de les recommencer d'un bout à l'autre. Des trente-cinq articles dont elles se composaient, vingt avaient été supprimés et trois modifiés. Dans cette nouvelle rédaction réduite à quinze articles, la susceptibilité de Messieurs de la Chambre des Élus n'eut plus lieu de se plaindre. Au surplus, et afin d'éviter le retour de ce qu'il considérait comme une manifestation séditieuse, le gouvernement, qui ne voulait plus être troublé dans sa tranquillité, enjoignit aux alcades entrants de lui communiquer à l'avenir les remarques qu'ils devaient présenter aux États, comme aussi d'en tenir registre. « S. M., leur écrivait Saint-Florentin, est satisfaite de vos lumières et de votre zèle pour rendre les opérations de vos assemblées plus solidement utiles, épargner aux Élus des censures peu justes et peu mesurées, exciter leur attention et celle des États à la conclusion des affaires, et assurer, en général, la fidélité et la sagesse de l'administration dans toutes celles de la province ». Déjà au mois d'avril 1744 le roi, par un règlement arrêté au conseil d'État et inspiré par l'affaire des alcades, avait déterminé Je rang, les fonctions des Élus et des autres officiers de la Chambre, afin, disait-il, d'assurer de plus en plus le bien de son service et le bonheur des peuples de la province. C'est-à-dire qu'après avoir bâillonné les alcades, le gouvernement, en vue d'éviter de nouvelles plaintes, parquait les Élus dans des attributions nettement définies où, à défaut de liberté et d'initiative, les questions de préséance tenaient une large part. En somme, une assemblée réduite au silence absolu, des mandataires dociles et soumis, voilà ce que sous Louis XV le despotisme ministériel avait fait des fils de ceux qui disaient à Charles le Téméraire : nous sommes vos très humbles sujets et serviteurs, mais ce que vous nous proposez ne se fit jamais, ne peut se faire et rte se fera pas.

Cote :

C 3302-3307

Inventaire d'archives :

États de Bourgogne

Type de document :

Document d'archives

Archives départementales de Côte d'Or

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