Inventaire d'archives : Fonds de la famille Fratellini (1882-1981)
Contenu :
de Gustave Flaubert, Dictionnaire des idées reçues. Le catalogue des opinions chics
« Clown : a été disloqué dès l’enfance ».
Comme dans la plupart des familles d’artistes, vie privée et vie publique sont étroitement indissociables. Les archives de la famille Fratellini outrepassent donc la seule histoire familiale. Elles documentent sur près d’un siècle, entre 1882 et 1981, l’évolution des carrières de circassien, la gestion d’un cirque itinérant mais aussi plus globalement l’histoire du clown, du cirque à la fois comme discipline artistique et comme pratique sociale.
Extrêmement riche, le fonds est constitué de nombreux documents administratifs comme les justificatifs d’identité propres aux artistes itinérants, la correspondance préalable aux engagements, les contrats et livres de comptes mais aussi d’un très bel ensemble iconographique formé de photographies, d’albums, d’affiches et de registres de presse savamment organisés. Les deux catégories résonnent et concourent de manière inséparable à la compréhension de l’histoire des Fratellini et d’une page de l’histoire du cirque français et européen.
Les archives ici décrites comprennent deux ensembles qui se complètent mais dont la production est distincte. D’une part, le fonds d’archives à proprement parlé dont les documents ont été produits par la famille Fratellini dans le cadre de leurs activités familiale et professionnelle ; et d’autre part, un ensemble documentaire collectionné composé majoritairement de publications (articles de presse et ouvrages) sur le cirque, mais aussi des « objets » comme les deux photographies encadrées de créateurs du trapèze volant au milieu du XIXe siècle. Les deux relèvent de l’initiative de Paul Fratellini puis son fils Victor, sa petite-fille Annie et son mari Pierre Etaix. Mais quelques éléments proviennent des familles de François et Albert et contribuent à préserver la représentativité du trio et de leurs enfants à la vie comme à la scène.
Gustave, « gymnasiarque » ou acrobate, prépare ses enfants très jeunes à la piste. Peu d’éléments concernent la période d’apprentissage et de transmission avec ses fils. Louis commence à travailler assez tôt avec Gustave dans le registre acrobatique puis Paul. Quant à François il est reconnu comme un des meilleurs écuyers de sa génération. Aux portes de la reconnaissance et après la retraite de Gustave, ils constituent deux duos. Louis et Paul d’un côté qui jouent les acrobates comiques ; François et Albert de l’autre. La mort de Louis, en novembre 1909 lors d’une tournée en Pologne, a pour conséquence immédiate de rebattre la répartition des rôles. Paul rejoint François et Albert pour former le premier trio de clowns de l’histoire. Leur renommée provient d’abord de cette nouvelle composition. Albert est l’auguste, François le clown blanc et Paul une sorte de contre-pitre portant le costume bourgeois de la fin du XIXe siècle. Au fil des années, malgré l’âge, ils font preuve d’une capacité inégalée à se renouveler grâce à une parfaite connaissance des uns et des autres, ce qui leur permet de créer deux entrées par mois.
Paul endosse également le rôle de chef de famille. Il concourt à l’organisation des tournées, des spectacles de bienfaisance grâce à l’aide de secrétaires et d’impresarii dont on peut trouver traces dans les archives. Il chapeaute également le lancement des carrières des enfants du trio qui se déclinent en une multitude de formations, du duo entre Victor et Régina (1915-1924) aux Pierrots de Willette, les futurs Craddocks. Ces expériences sont documentées par de nombreux contrats également conservés dans le fonds mais aussi le petit livre d’or de Régina, illustré de dessins et de messages d’artistes rencontrés au fil des tournées entre 1915 et 1922.
Les premières années sont marquées par les tournées en Europe et jusqu’en Russie où la famille passe plusieurs années d’engagement au Cirque Salamonsky. L’une des caractéristiques du fonds réside donc dans la pluralité des langues qui le composent. Bien que restés italiens – à l’exception d’Albert qui acquière la nationalité française –, ils dépendent de la réglementation française parce que leur résidence principale est à Paris puis au Perreux-sur-Marne. Ils font partie de ces Italiens qui ont fait la France, présentés dans l’exposition Ciao Italia ! au Musée de l’immigration à Paris en 2017. De ce fait, de nombreux documents d’identité produits dans le cadre des réglementations de la « police de l’errance » demeurent dans le fonds. Les administrations françaises ne sont d’ailleurs pas avares d’honneurs et de récompenses. La Légion d’honneur, demandée à plusieurs reprises, ne leur est pourtant jamais attribuée. Dans le même temps, l’Italie fasciste met en exergue leur nationalité italienne comme lors de la tournée de 1928 avec l’édition d’une série de dix de cartes postales, intitulée « Enfin en Italie ! ». Les Fratellini ne revendiquent cependant aucune nationalité ni frontière dans leur vie professionnelle. Acteurs de la piste, ils jouent pour les soldats français pendant la Première Guerre mondiale, dans les hôpitaux pour enfants, les prisons et parfois les maisons de retraite partout où ils tournent. La connivence suscitée par le rire permet de transcender les conflits des États-nations.
Dans le cadre de cette famille, il est intéressant de voir la corrélation entre la constitution d’une mémoire familiale et la conscience de s’inscrire dans l’histoire d'une discipline en formation, à la transition du théâtre équestre et des arts du cirque, surtout sensible à partir de l’engagement à Medrano (1909-1924). Grâce à l’analyse de la construction de la figure médiatique du clown Medrano Boum-Boum par Marie-Eve Thérenty (in P. Goutard et N. Vienne-Guerrin (dir.), , voir bibliographie ci-dessous), on perçoit la reprise par les Fratellini de plusieurs mythes « inventés » par Medrano comme celui du clown appelé au chevet d’un enfant malade pour lui sauver la vie par le rire. Sans doute l’évolution de la société et des médias durant l’entre-deux guerres ont permis aux Fratellini de s’ériger en véritable marque. Une marque qu’ils gèrent en chefs d’entreprise lorsqu’ils vendent leur image aux bonbons Cachou en 1932, à un fabricant de parapluie pour un modèle destiné aux enfants ou encore sous la forme d’un nécessaire à couture et en tube à parfum, mais aussi aux cigarettes Lucky Strike, aux automobiles Amilcar avec le slogan « Les vedettes sur Amilcar ». Les Fratellini entrent matériellement dans les foyers et se déclinent pour tous les membres de la famille. Enfin, ils n’hésitent pas à intenter des procès à ceux qui se risquent à usurper leur nom, ou à jouer sur l’ambiguïté du « trio Fratellini » comme les fils de Louis.Figures du clown
De plus, le monde artistique du début du XXe siècle se tourne vers le cirque pour régénérer les autres arts. Comme les Fratellini sont très en vue, ils expérimentent avec Darius Milhau dans le champ musical, avec Jean Cocteau au théâtre mais aussi Georges Méliès au cinéma. Entre 1918 et les années 1930, les Fratellini participent de l’avant-garde artistique parisienne. Ils ont servi de motifs à de nombreux artistes dont il subsiste quelques éléments dans le fonds comme les dessins de Fernand Fernel et Marcel Prangey. Leur loge, particulièrement à Medrano, constitue une étape touristique de premier ordre. Plusieurs photographies rendent compte des visites de délégations de moines tibétains ou de touaregs, par exemple. Cet entregent est également présent dans le fonds d’archives à l’instar des photographies dédicacées par Firmin Gémier en 1922, ou le Président de la République, Gaston Doumergue, en 1926 qui les remercie d’avoir procuré de la joie « aux enfants pauvres de Paris invités à l’arbre de Noël de l’Élysée ».
En définitive, le fonds d’archives de la famille Fratellini permet bien au-delà de sa propre histoire familiale d’apporter un éclairage sur la société artistique, mais pas seulement, de la première partie du XXe siècle en France. Il permet aussi de voir comment dès le départ les Fratellini ont conscience de s'inscrire dans l’histoire du cirque et des clowns. La mise en valeur de leurs archives, et la bibliothèque de Paul, alimentent la reconnaissance et la renommée du trio, mais aussi leur goût naturel à transmettre l’amour de leur métier. Bien qu’amoindri par le passage du temps, la collection et surtout le fonds d’archives, beaucoup plus intègre, forment aujourd’hui une porte ouverte vers l’univers matériel et imaginaire du cirque pour tous et dont le prolongement est évidemment le fonds d'archives Annie Fratellini (20190321).
Cote :
20180766/1-20180766/56
Publication :
Archives nationales, Pierrefitte-sur-Seine
2021
59 rue Guynemer 93383 Pierrefitte-sur-Seine
Informations sur le producteur :
Fratellini (famille)
Voir la notice producteur "Famille Fratellini".
Informations sur l'acquisition :
Dépôt.
Historique de conservation :
Le fonds a été collecté à l'Académie Fratellini (1-9 rue des Cheminots, quartier de La Plaine Saint-Denis à Saint-Denis). Certains éléments ont fait précédemment l'objet d'une exposition itinérante qui a donné lieu à un catalogue "La Saga des Fratellini".
Description :
Critères de sélection :
Le classement du fonds n'a pas donné lieu à des éléminations.
Conditions d'accès :
Librement communicable, sous réserve des restrictions imposées par l'état matériel des documents.
Conditions d'utilisation :
Reproduction et réutilisation selon le règlement des salles de consultation en vigueur aux Archives nationales.
Langues :
FrançaisAllemandAnglaisEspagnolItalienTchèque
Description physique :
Importance matérielle :
4,16 mètres linéaires
Ressources complémentaires :
Des tableaux, dessins et sculptures emblématiques de la collection Fratellini ont fait l’objet d’une vente publique en 2016 chez Artcurial (). D'après les légendes une grande partie des éléments proviennent de la collection de François Fratellini.« Hommage au cirque : Les Fratellini »
Références bibliographiques :
Ouvrages sur les Fratellini
Pierre Mariel, , illustrée de 115 dessins d'Édouard Elzingre, préface de Jacques Copeau, Paris, Société anonyme d'éditions, 1923.Histoire de trois clowns : les Fratellini
Paul Blanchart, , Paris, La Herse, 1924.Le Cirque, les clowns et les poètes ; suivi de Chez les Fratellini
Gaston Dardaillon, , Paris, Spes, 1926.Les jeunes clowns Fratellini
Paul, François, Albert Fratellini, , 1941.Nous étions trois clowns
Jacques Faizant, , Paris, Willeb, 1947.Les Fratellini en vacances
Jane Darboy, , Paris, Éditions jurasiennes, 1948.Les Fratellini
Albert Fratellini, , Paris, Grasset, 1955.Nous, les Fratellini
Annie Fratellini, , Lyon, La Manufacture, 1989.Destin de clown
Tristan Rémy, , Aulnay-sous-bois, Cercle Tristan Rémy, 1993 Les Fratellini
Pierre Robert Lévy, , Arles Actes Sud, 1997. Les Fratellini : trois clowns légendaires
Dominique Denis, , Aulnay-sous-bois, éd. Arts des 2 mondes, 2004.Les Craddock Fratellini
Laurent Gachet, Pascal Jacob, , Paris, Magellan, 2004. La saga des Fratellini : des aventures extraordinaires de trois frères qui révolutionnèrent le rire. Une saga imaginaire à travers l'Europe, basée sur des faits authentiques de 1912 à 1926
Philippe Goudard,
Histoire du clown et du cirque
Pascal Jacob, , Paris, Gallimard, 2001Le cirque. Un art à la croisée des chemins
Dominique Denis, , ed. Arts des 2 mondes, 2012 Medrano Boum-Boum, 1897-1928
Jean Pruvost, , Paris, Honoré Champion, 2013Le cirque
Pascal Jacob, , Portet-sur-Garonne, Loubatières, 2013Les métiers du cirque : histoire et patrimoine
, exposition à Moulins, Centre national du costume de scène et de la scénographie, 15 juin 2013-5 janvier 2014, 2013En piste ! Les plus beaux costumes de cirque
Dominique Denis, , Aulnay-sous-Bois, 2015Clowns de cirque, histoire mondiale des comiques de la piste
Pascal Jacob, , Paris, Seuil/BnF, 2016Une histoire du cirque
Sylvie Perrault, , éd. Du jongleur, 2019Historique et esthétique du clown blanc
Dominique Denis, , Aulnay-sous-Bois, éd. Des 2 mondes, 2020Histoire du cirque : 250 ans en 250 images
Philippe Goutard et Nathalie Vienne-Guerrin (dir.), , Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2020Figures du clown, sur scène, en piste et à l’écran
Localisation physique :
Pierrefitte-sur-Seine
Organisme responsable de l'accès intellectuel :
Archives nationales de France
Identifiant de l'inventaire d'archives :
FRAN_IR_059063