Inventaire d'archives : Justice ; Hautes Cours de Bourges et de Versailles. Deux grands procès politiques de la Seconde République (1848-1849)
Contenu :
Les papiers des Hautes Cours sont en principe conservés dans la série W (juridictions
extraordinaires). Cependant on trouve les archives des tribunaux exceptionnels qui ont
fonctionné au cours de la période révolutionnaire dans la série C qui conserve le fonds des
Assemblées politiques. En effet, «la série C comprend un certain nombre de documents annexes se
rattachant généralement à des affaires sur lesquelles les Assemblées avaient eu à statuer à
diverses époques; ces documents qui forment des intercalations, ou pour mieux dire autant de
petites séries distinctes, méritent, à raison de leur importance une mention spéciale » [A noter
:Alexandre Tuetey, Les papiers des Assemblées de la Révolution aux Archives nationales.
Inventaire de la série C (Constituante, Législative, Convention). Paris, 1908.] Dans son
énumération, Alexandre Tuetey cite « ... des procédures et correspondances de la Haute Cour
nationale siégeant à Orléans de novembre 1791 à août 1792 (C 168 à 172, no 414 à 423) ...,
divers papiers provenant du Tribunal criminel extraordinaire créé par décret du 17 août 1792, et
concernant spécialement l'affaire Collenot d'Angremont, chef du Bureau militaire de l'Hôtel de
Ville, l'affaire Farmain de Rozoy, rédacteur de la Gazette de Paris, les affaires Arnaud de
Laporte, de Cazotte, de Luce de Montmorin, de Bachmann, etc.; les papiers en question saisis
chez les inculpés et conservés à titre de pièces à conviction pour leurs procès (C 190 à 217, no
160' à 160115) ». Mais la présence de ces papiers dans la série C ne doit pas faire oublier les
fonds conservés également dans la série W pour cette même période révolutionnaire [A noter :
voir : État général des fonds, tome II, p. 447-448.], ainsi que les articles de la sous-série
BB3 relatifs au fonctionnement des Hautes Cours d'Orléans et de Vendôme.
Pour la période 1815-1848, c'est dans la série CC qu'il faut chercher les pièces des procès instruits par la Cour des pairs. En effet, celle-ci était composée par les pairs siégeant en cour de justice, et les archives des procès sont naturellement restées dans le fonds de la Chambre haute.
Quant aux liasses des Hautes Cours de Bourges et de Versailles versées en 1975 par la cour d'appel de Paris, elles ont naturellement pris place dans la série W, après les papiers des Commissions militaires et des Hautes Cours de justice de l'époque du Directoire.
On peut noter avec regret que les archives de l'institution éphémère des Hautes Cours sous la
Seconde République n'ont pas bénéficié du classement soigné que l'archiviste de la Chambre des
pairs, Cauchy, avait réservé aux dossiers des inculpés jugés par la Cour des pairs. Les dossiers
des inculpés des Hautes Cours de Bourges et de Versailles ont été scindés pour l'instruction des
procès, des pièces ont été extraites, les numéros du parquet ne figurent pas toujours sur les
chemises des dossiers, et, à en juger par les inventaires anciens, des dossiers ont disparu. Le
versement de 1975 a été classé par Catherine Bertho-Lavenir au cours du stage qu'elle a effectué
en 1976 aux Archives nationales, mais les déclassements initiaux, les extractions de partie de
dossiers, la constitution de chemises factices ne pouvaient être entièrement corrigés. Seul
l'inventaire détaillé des articles W 568 à 586 pourra permettre aux chercheurs d'exploiter le
fonds.
L'intérêt des dossiers des inculpés des journées de mai 1848 et de juin 1849 reste de même
nature que celui des dossiers conservés dans la série CC pour la période précédente : présence
de nombreuses pièces saisies (correspondance, affiches, tracts, journaux, archives
d'associations), rapports de police, présence de documents qui ne figurent pas dans les
publications officielles de l'époque. Les noms des accusés apparaissent très souvent dans les
deux séries CC et W : les Républicains des années 1830-1848 inculpés pour participation aux
émeutes ouvrières de la Monarchie de Juillet ou impliqués dans les tentatives de régicide
(affaire Darmès, notamment), se retrouvent au premier rang lors des journées insurrectionnelles
de la Seconde République.
L'ensemble des inventaires des fonds de la Cour des pairs et des Hautes Cours de Bourges et de
Versailles constitue une source essentielle pour la connaissance de l'histoire du mouvement
républicain et du courant socialiste du deuxième quart du XIXe siècle. Faisant suite
immédiatement, l'ouvrage en cours de publication : La Troisième République et la mémoire du coup
d'État de Louis-Napoléon. La loi de réparation nationale du 30 juillet 1881 en faveur des
victimes du 2 décembre 1851 et de la loi de sûreté générale du 27 février 1858, par Denise
Devos, complétera les inventaires des sources archivistiques des insurrections ouvrières pour
cette période.
La Haute Cour était composée de cinq magistrats élus par la Cour de cassation et de trente-six
jurés tirés au sort sur une liste formée de conseillers généraux non représentants du peuple et
désignés eux-mêmes par le sort dans chaque département [A noter : Voir W 568.]. Les juges
étaient désignés chaque année dans les quinze premiers jours du mois de novembre par la Cour de
cassation qui nommait parmi ses membres les cinq juges de la Haute Cour et deux suppléants. Les
magistrats qui remplissaient les fonctions du ministère public étaient désignés par le président
de la République et, en cas d'accusation de ce dernier, par le président de l'Assemblée
nationale. Les jurés étaient au nombre de trente-six, plus quatre suppléants; dans la pratique,
il semble cependant que l'on ait essayé d'écarter les jurés désignés par le sort mais jugés
d'opinion politique « trop avancée ». Les décisions du jury devaient être prises à la majorité
des deux tiers des voix.
Les Hautes Cours de Bourges et de Versailles ont eu à juger les inculpés de deux « journées » révolutionnaires, les journées des 15 mai 1848 et 13 juin 1849. Donc, le problème de la constitution de la Haute Cour fut posé après la journée du 15 mai. avant même le vote de la Constitution en novembre 1848.
La journée du 15 mai 1848.
« Le 15 mai 1848 est la quatrième et avant-dernière des « Journées » qui jalonnent la brève
histoire de la Révolution de Février : 24 février, 17 mars, 16 avril, 15 mai, 23 juin[A noter :
Henri Guillemin, La première résurrection de la République : 24 février 1848. Paris, 1967
(Collection «Trente journées qui ont fait la France »).] » Les événements qui ont amené
l'invasion de l'Assemblée nationale sont connus et ont fait l'objet d'études auxquelles il
convient de se reporter. Rappelons brièvement qu'après la manifestation manquée du 16 avril pour
obtenir le report des élections, l'Assemblée constituante, qui compte désormais deux cent
cinquante députés royalistes, se réunit le 4 mai et procède à l'élection d'une Commission
exécutive, composée d'Arago, Garnier-Pagès, Marie, Lamartine et Ledru-Rollin, dont les
socialistes sont exclus. À ce moment, la vie politique à Paris est intense et se manifeste par
la parution de très nombreux journaux et l'existence de non moins nombreux clubs. L'organisation
des Ateliers nationaux a été confiée à Marie dont les idées politiques sont très éloignées de
celles du socialiste Louis Blanc. Les Clubs parisiens, défiants à l'égard de la Constituante et
des mesures qu'elle commençait à prendre, et soucieux de venger l'échec de la manifestation du
16 avril, appellent à une manifestation en faveur de la Pologne, prévue pour le 15 mai : cent
cinquante mille hommes environ, ouvriers des Clubs et de la Commission du Luxembourg marchent
donc, le 15 mai, de la Bastille au Palais-Bourbon et, trouvant celui-ci peu ou mal défendu,
l'envahissent aux cris de « Vive la Pologne ». Dans la plus grande confusion, Raspail, Barbès et
Blanqui prennent tour à tour la parole à la tribune de l'Assemblée, en faveur de la Pologne
d'abord, puis évoquent des mesures de caractère socialiste, comme un impôt sur la fortune.
Enfin, Huber monte à la tribune et proclame l'Assemblée dissoute. Un gouvernement provisoire est
constitué, que Barbès et Blanqui vont ensuite, selon un processus désormais classique, proclamer
à l'Hôtel de Ville.
Mais la Commission exécutive s'étant ressaisie, fait battre le rappel de la Garde nationale
des quartiers bourgeois qui, avec le concours de la Garde mobile, dégage l'Assemblée puis
l'Hôtel de Ville. Il est fort possible que la manifestation ait été victime d'une provocation
policière, à en juger par la facilité avec laquelle les manifestants ont pu pénétrer dans
l'enceinte du Palais-Bourbon. C'est la thèse défendue par Henri Guillemin qui a eu recours
essentiellement à des sources imprimées, rapports de la Commission d'enquête, pièces imprimées
du procès, mémoires des hommes politiques du temps. Les pièces du dossier Huber conservé dans le
fonds des Hautes Cours confirment cette hypothèse. La déposition de Monier [A noter : Conservée
sous la cote W 573 dossier 10 Huber.], qui avait été secrétaire général de la préfecture de
police, devant la Haute Cour, ne laisse aucun doute même si, dans un premier temps, Caussidière,
réfugié à Londres, lui avait demandé de renoncer à déposer :
« Déposé à l'audience du onze octobre
1849 par le témoin Monnier.
Londres, le 28 février.
Mon cher Monier,
Avant mon départ pour Londres, tu me parlas de lettres de Hubert adressées dans le temps au préfet de police.
Ces lettres ne sont pas reniées par Hubert qui les auroit écrites sous l'inspiration d'un long régime cellulaire afin de pouvoir profiter de sa transfération pour s'évader, dans le cas où le préfet eut voulu prendre sa demande en considération; il auroit ensuite indiqué par la voie des journaux le moyen qu'il avoit employé pour se soustraire à une détention qui devait être perpétuelle.
On vient me dire que tu avois l'intention de te servir de ces lettres pour prouver que j'étais étranger à toute connivence dans l'affaire du 15 mai. Outre que je blâme et désapprouve complète-ment ce moyen qui établirait un conflit entre moi et un patriote qui a souffert de la prison pendant près de quatorze ans, je renierais toute démarche qui auroit pour but de me justifier auprès d'une cour dont je n'accepte pas la compétence...
Tu voudras bien faire cesser toutes les insinuations malveillantes qui péseraient sur Hubert si tu persistais à l'accuser, l'explication qu'il donne de sa conduite me semble très plausible, et si le moyen qu'il a employé dans le temps pour chercher à se soustraire, a un côté fâcheux, il faut en faire la part à cette réclusion isolée qui frappe souvent d'hallucination les cerveaux les mieux organisés... »
Cependant, Monier n'en fit rien et déposa devant la Haute Cour une lettre de l'ex-directeur de la prison du fort de l'Est, Piegaz, qui met en cause d'une façon irréfutable, Huber :
« Déposé à l'audience du onze octobre 1849 par le témoin Monnier. Gauthier, greffier.
Au moment où l'accusé Huber va comparaître devant la Haute Cour de justice, le soussigné
croit devoir porter à la connaissance de M. le Procureur général les faits suivants :
Quelques jours après le 15 mai, M. Monier qui remplissait alors les fonctions de secrétaire général à la Préfecture de police, rapporta des archives un dossier portant en suscription le nom d'Huber. Il le lut, et comme il voulait, pour la bonne règle, que ce dossier ne restât pas longtemps hors du lieu du dépôt, il me chargea de le copier aussitôt, manquant lui-même de temps pour cela. Je m'acquittai immédiatement de ce travail; je copiai textuellement les deux lettres d'Huber. Quant à son rapport sur l'affaire Grouvelle, je n'en fis, vue son étendue, qu'un résumé court mais précis, et le dossier fut aussitot reporté aux Archives. De deux copies que je fis, je donnai l'une à M. Monier et la seconde resta entre mes mains.
Malgré la gravité de cette découverte qui semblait établir une identité incontestable entre le signataire du rapport et l'auteur principal du 15 mai, le silence fut gardé. M. Trouvé-Chauvel, qui venait de succéder à M. Caussidière, fut le seul, si j'en crois mes souvenirs, à qui M. Monier me dit en avoir donné connaissance. Et l'on eut tort de tenir ce secret dans les archives. En face d'un fait historique aussi considérable que la dissolution de l'Assemblée nationale, la réserve devenait une faute. Cet avis, émis par moi, ne prévalut pas, et je dus me résigner à ajourner la divulgation de ce document.
Longtemps après, au mois de février suivant, je crois, assistant à une réunion d'amis, je me trouvai assis à table à côté de M. Laurent de l'Ardèche que je ne connaissais point auparavant et qui me dit être l'oncle de Raspail. Je lui confiai alors la découverte faite aux archives. Il me pria de lui en remettre une note pour être communiquée à son parent. Je la lui portai deux jours après; elle était, quant au fonds, absolument conforme à celle dont il a été donné lecture à la Haute Cour de Bourges. Je confiai cette note à M. Laurent, à la condition expresse qu'elle ne serait communiquée à aucun journal, qu'elle ne deviendrait pas une cause de scandale et ne servirait aux accusés qu'au jour du jugement. La condition apportée à la remise de cette note a été totalement remplie.
Huber a, depuis le procès des accusés de Mai, fait insérer plusieurs lettres dans les journaux. Il nie qu'il ait jamais eu des relations quelconques avec M. Delessert. Je dois faire connaître le fait suivant qui pourra faire apprécier la valeur de ses dénégations.
Quelque temps avant le procès de Bourges et postérieurement à la communication faite par moi à M. Laurent de l'Ardèche, M. Monier me fit lire une lettre qui venait de lui être adressée par
M. Caussidière. Il avait appris que M. Monier devait être appelé devant la Haute Cour et qu'il y donnerait connaissance du dossier dont il est ici question. Or, Huber venait, ajoutait-il, de lui donner à Londres des explications sur le fait qu'il croyait lui être imputé. Huber lui aurait avoué que, vaincu par l'affaissement moral produit par sa captivité, il avait en effet écrit, en 1838, à
M. Delessert et lui avait demandé un entretien; que c'était dans le but de se ménager une évasion pendant sa translation d'une prison à l'autre, mais que jamais il n'avait fait aucune révélation. Les explications d'Huber avaient paru suffisantes à M. Caussidière; aussi priait-il M. Monier de ne rien divulguer du dossier trouvé aux Archives, afin que le parti républicain, déjà frappé par des précé-dens de cette nature, ne reçut pas un coup de plus. M. Monier voulant éclairer l'ex-préfet de police, lui fit passer alors une copie du document précité, et M. Caussidière répondit qu'il était maintenant parfaitement édifié.
Je n'ai aucun fait à ajouter à ma déclaration. Je ne connais point Huber, non plus que les accusés qui comparaissaient devant la Haute Cour de Bourges. Mon intervention dans cette affaire était donc et est encore aujourd'hui complètement impartiale. Y a-t-il identité entre Huber, le délateur de 1838 et celui qui a prononcé la dissolution de l'Assemblée nationale ? C'est un point que la justice peut facilement éclaircir en ordonnant la production du dossier, et en soumettant, en cas de dénégation, l'écriture à des experts...
Piegaz, ex-directeur de la prison du Fort de l'Est
à Saint-Denis, demeurant à Lyon
Daté du 6 octobre 1849 ».
À la suite de la lettre de Piegaz, on trouve la copie du dossier Huber à la préfecture de police : deux lettres, l'une non datée, l'autre datée du 10 août 1838, adressées au préfet de police et un résumé succinct du rapport annoncé dans la seconde lettre, qui révèle les manoeuvres et la trahison de Huber.
Comme dans tous les procès jugés par les Hautes Cours, des pièces relatives aux antécédents
des accusés, des dossiers de procès antérieurs ont été joints; ainsi, dans le cas d'Huber, son
dossier comporte des documents relatifs au complot fomenté à Londres en 1837 avec Laure
Grouvelle [ A noter : Pour le complot Huber et autres contre le Roi, voir aussi : BB 18 1371 d.
6016; sur la participation de Huber au coup de force contre l'Assemblée le 15 mai 1848, voir :
BB 21 549, dossier S. 3322; enfin sur son jugement en Haute Cour, voir : BB 30 333, dossier 2.
On peut encore signaler des renseignements sur Huber (en 1855) sous la cote BB 30 416 P 1303.],
et son recours en grâce formé en 1839. De même, dans le dossier Blanqui [A noter : W 573,
dossier Blanqui.], figure l'instruction de la journée du 16 avril 1848.
Sans doute, la journée du 15 mai, qui constituait une atteinte à la légalité républicaine,
a-t-elle discrédité la Montagne. Louis Blanc lui-même, dans les jours suivants, a eu grand-peine
à se disculper [A noter : W 572 dossier 5], et tous les dirigeants du mouvement et des Clubs ont
été arrêtés. Il s'agissait pour les Républicains modérés et la droite de donner à leur procès le
plus d'éclat possible et d'accréditer la thèse d'un complot [A noter : W 568].
Le renvoi en Haute Cour fut tout de suite envisagé. La première instruction d'abord assurée,
comme précédemment sous la Monarchie de Juillet, par le tribunal de première instance de la
Seine, aboutit à des non-lieux pour la plupart des manifestants arrêtés à l'Hôtel de Ville [A
noter : W 571], tandis que l'instruction se poursuivait pour les « meneurs » [A noter : W 572]:
Louis Blanc, Sobrier, Seigneuret, Houneau, Huber, Raspail, Cour-tais, Blanqui et Borme, ainsi
que Caussidière, Degré, Flotte et Villain pour lesquels on ne possède plus que des bribes de
dossiers. Mais, précisément, le rôle de Villain, ami du ministre de l'Intérieur, Recuit, est
sujet à caution; Caussidière était encore préfet de police, poste dont il devait démissionner le
17 mai, et Degré fut acquitté par la Haute Cour de Bourges. Caussidière, en fuite, fut condamné
par la Haute Cour à la déportation et Flotte à cinq ans de détention.
Le 22 janvier 1849 fut votée la loi qui renvoyait devant la Haute Cour de justice de Bourges,
mise sur pied par la Constitution adoptée entre temps, le 4 novembre 1848, les auteurs et
complices de l'attentat du 15 mai 1848. Le 23 février 1849, une ordonnance du président de la
Haute Cour fixait l'ouverture des débats au 7 mars 1849 à Bourges. Mais, dès le mois de janvier
1849, les opérations de tirage au sort des jurés avaient commencé [A noter : W 568]. La Haute
Cour siégea du 7 mars au 3 avril 1849, et à l'issue de vingt-cinq séances, prononça sept
condamnations à la déportation ou à la détention.
Les papiers provenant de la Haute Cour de Bourges n'ont pas reçu un classement très satisfaisant. On peut distinguer ce qui concerne la première instruction devant le tribunal de première instance de la Seine (documents généraux, dossiers personnels, interrogatoires devant le tribunal de première instance), puis des dossiers personnels importants (où se trouvent mélangés documents provenant du tribunal de première instance et de la Haute Cour ainsi que papiers concernant des jugements antérieurs pour des affaires dans lesquelles s'étaient trouvés impliqués les accusés), enfin les pièces à conviction (affaire du Club de la révolution) et les pièces saisies (lettres adres-sées à Barbès, papiers appartenant ou concernant Sobrier).
La journée du 13 juin 1849.
À peine la Haute Cour de Bourges avait-elle cessé de siéger, que la journée du 13 juin suscitait la nécessité de réunir à nouveau une Haute Cour de justice.
Le prétexte de cette « journée » fut la question romaine et l'envoi le 22 avril 1849 d'un
corps expéditionnaire en Italie, à l'origine pour tenter de régler le conflit entre Pie IX, en
fuite, et la République romaine de Mazzini. Mais, les élections françaises du 13 mai 1849 ayant
amené une forte majorité de députés conservateurs catholiques à l'Assemblée législative,
l'expédition française, sous la pression des catholiques désireux de restaurer l'autorité
pontificale dans toutes ses prérogatives, fut détournée de son but initial. D'autre part,
l'expédition avait été décidée par le pouvoir exécutif sans le consentement de l'Assemblée
nationale, comme l'exigeait la Constitution. À la nouvelle que l'armée française se préparait à
attaquer Rome, la Montagne, qui comptait cent quatre-vingts députés, décida de faire appel à la
manifestation. Son Comité électoral — Comité démocratique des élections — s'était perpétué sous
le nom de Comité des Vingt-cinq; il publia une proclamation rappelant aux représentants du
peuple du département de la Seine qu'ils avaient le devoir « si la Constitution était violée »
de résister. Par ailleurs, les délégués de nombreux journaux concertaient leur action au sein du
« Comité de la Presse » au siège de la Démocratie pacifique de Victor Considérant. Les chefs
comptaient sur les cent trente mille électeurs parisiens de Ledru-Rollin. Le 11 juin, celui-ci
interpella le ministre des Affaires étrangères et proposa la mise en accusation des ministres et
du Président pour violation de la Constitution, demande qui fut repoussée. Le lendemain soir,
une réunion du Comité des Vingt-cinq, du Comité de la Presse, de certains députés montagnards,
d'anciens délégués du Luxembourg et de délégués des Clubs, adoptait une proclamation au peuple,
tandis qu'au manège Pellier les gardes nationaux montagnards décidaient pour le 13 juin un
cortège de protestation du Château-d'Eau au Palais-Bourbon.
La journée du 13 juin 1849 ne connut pas l'ampleur espérée : le souvenir de la répression des
journées de juin l'année précédente était encore très vif; six mille manifestants environ
partant du Temple passèrent sur les boulevards; réunis autour de Ledru-Rollin, des députés et
des chefs montagnards entraînèrent la légion d'artillerie stationnée au Palais-Royal et
s'installèrent au Conservatoire des Arts et Métiers en une sorte de Comité de gouvernement. Ils
en furent assez rapidement chassés par l'armée. Trente-quatre députés furent inculpés, la
plupart en fuite comme Ledru-Rollin, Considérant, Félix Pyat, etc. Un grand nombre
d'arrestations s'ensuivirent à Paris comme en province où des manifestations eurent lieu, à
Toulouse, les 11 et 12 juin, à Perpignan et dans l'Allier, le 14. Lyon avait connu les 14 et 15
juin un véritable soulèvement armé.
Cette manifestation permit à la majorité de liquider ses adversaires. Selon le même processus que pour la journée du 15 mai 1848, le tribunal de première instance de la Seine prit une ordonnance de prise de corps (4 août 1849); un arrêt de la Chambre des mises en accusation du 9 août 1849 renvoyait les accusés devant la cour d'assises de la Seine [A noter : Voir : W 582], mais une loi du 10 août décidait leur comparution devant une Haute Cour qui devait siéger à Versailles; toutefois, l'Assemblée nationale devait être amenée à autoriser les poursuites contre les représentants du peuple qui, en vertu de l'article 37 de la Constitution, ne pouvaient être « ni arrêtés en matière criminelle, sauf le flagrant délit, ni poursuivis ».
Le procès en Haute Cour s'ouvrit à Versailles le 12 octobre 1849 et se déroula dans une atmosphère très violente jusqu'à la clôture des débats le 15 novembre de la même année. Les juges n'ayant pas voulu laisser plaider le droit à l'insurrection en cas de violation de la Constitution, les avocats de la défense refusèrent de plaider. Le 15 novembre, les juges prononcèrent onze acquittements et vingt condamnations. Chi-pron, Dufélix, Fargin-Fayolle, Pilhes, Boch, Deville, Gambon, Langlois, Paya, Schmitz, André, Lebon, Commissaire, Maigne, Daniel-Lamazière, Vauthier et Guinard furent condamnés à la déportation, Montbet à cinq ans de détention, Suchet et Fraboulet de Chalandar à la même peine avec deux ans de contrainte par corps seulement [A noter : Pour le déroulement du procès, voir : BB 18 1478, dossier 7526 A : documents concernant la Haute Cour de Versailles, rapports quotidiens au garde des Sceaux.].
Les dossiers des inculpés jugés par la Haute Cour de Versailles sont classés suivant leur
appartenance à divers groupes : Commission des Vingt-cinq, Comité de la Presse, représentants du
peuple, artillerie de la Garde nationale, chefs d'insurgés. Les dossiers des inculpés ayant
bénéficié d'un non-lieu sont classés séparément. Deux articles (W 583 et 584) renferment les
papiers saisis au domicile de Victor Chipron, chez Maillard et chez les frères Fraret et au
domicile de divers inculpés, ainsi que beaucoup de lettres saisies à la poste. Enfin le fonds de
la Haute Cour ne concerne pas uniquement les événements parisiens mais également les
ramifications de l'émeute en province. L'article W 585 est constitué par des documents
confidentiels de police, rendus plus précieux en raison des lacunes présentées par la sous-série
F7 et de la pauvreté du fonds de la Préfecture de police pour la journée du 13 juin.
L'insurrection de juin 1848.
Le dernier article du fonds (W 586) renferme quelques dossiers ayant trait à l'insurrection de juin 1848, réprimée par le général Cavaignac, et dont les protagonistes furent jugés par des conseils de guerre; les dossiers cotés dans la série W présentent un intérêt restreint, l'essentiel des sources étant conservé ailleurs. Il s'agit de recherches et de transfert d'inculpés, de pièces de procédure, de renseignements fournis par les parquets de province. C'est le Service historique de l'Armée de Terre qui possède l'essentiel des sources archivistiques : les dossiers individuels des inculpés jugés par des conseils de guerre. Par ailleurs, il convient de se reporter au chapitre « Sources manuscrites » de cet ouvrage pour trouver ce qui, tant aux Archives nationales que dans d'autres dépôts, concerne les journées de juin 1848, documents souvent imbriqués dans des dossiers se rapportant aux autres journées insurrectionnelles de la Seconde République.
L'intérêt présenté par le fonds des Hautes Cours de Bourges et de Versailles est multiple : pour le fonctionnement de l'institution judiciaire, pour le déroulement des journées insurrectionnelles des 15 mai 1848 et 13 juin 1849 (dépositions, enquêtes, pièces saisies) et pour les hommes qui y ont participé (dossiers individuels des accusés), pour l'activité des clubs avant les manifestations (grâce aux pièces saisies dans les locaux qu'ils occupaient) et pour le rôle joué par la presse (nombreux dossiers de journaux).
Consulter les documents annexes ci-joint
Cote :
W//568-W//586
Publication :
Archives Nationales (France)
1992
Pierrefitte-sur-Seine
Informations sur le producteur :
En 1975, la cour d'appel de Paris a versé aux Archives nationales des papiers d'affaires diverses jugées par elle (assassinat de Marius Plateau, mort de Philippe Daudet, affaire Gorguloff), papiers qui furent renvoyés aux Archives de Paris pour prendre place dans leur fonds d'origine, des documents épars (rapports des parquets pour les années 1820-1824, qui furent insérés dans la série BB), et enfin des liasses provenant des Hautes Cours de Bourges et de Versailles qui eurent à juger en 1849 les protagonistes des journées du 15 mai 1848 et du 13 juin 1849; une liasse à part concernait la première instruction des journées de juin 1848, avant que cette affaire ne fût déférée à la justice militaire.
Les Hautes Cours ont évidemment laissé des traces dans les archives de notre pays [A noter : Haute Cour nationale d'Orléans, Tribunal révolutionnaire de mars 1793 assimilé à une Haute Cour par la nature des affaires qui lui ont été confiées bien qu'il ne soit pas réellement une Haute Cour, Haute Cour de Vendôme.]. En effet, l'institution même de Haute Cour est née avec la Révolution « pour juger les dépositaires du pouvoir » qui se seraient rendus coupables du crime de « lèse-nation » [A noter : Raymond Lindon, Histoire de la Haute Cour de justice de France. Paris, 1945.]. Les Hautes Cours se succédèrent donc pendant la période révolutionnaire et disparurent à l'avènement du Premier Empire : prévue par la Constitution de l'an VIII, la Haute Cour ne se vit confier aucune affaire. Dès la Restauration, elle fut remplacée par une autre institution, très différente, la Cour des pairs [A noter : Jeannine Charon-Bordas, Cour des pairs. Procès politiques... Paris, Archives nationales, 1982-1984, 3 vol.] qui eut à instruire les procès politiques entre 1815 et 1848; elle disparut à son tour avec la suppression en 1848 de la Chambre des pairs qui, depuis 1820, prenait le nom de Cour des pairs lorsqu'elle siégeait en cour de justice.
Dès l'avènement de la Seconde République, les événements nationaux n'allaient pas tarder à faire sentir la nécessité d'instaurer à nouveau une Haute Cour, et c'est dans les lois de la Première République que les juristes de 1848 allèrent chercher des précédents pour constituer la nouvelle Haute Cour, leur empruntant notamment le mode de recrutement des membres du jury par tirage au sort.
La Haute Cour de 1848 fut instituée par l'article 91 de la Constitution votée le 4 novembre 1848. Elle devait juger « sans appel ni recours en cassation les accusations nationales portées par l'Assemblée nationale contre le président de la République ou les ministres » [ A noter : Raymond Lindon, op. cit.], toutes les personnes prévenues de crime contre la sûreté de l'État, et le président de la République au cas où il tenterait de dissoudre l'Assemblée nationale (crime de haute trahison). Dans ce cas, les juges devaient se réunir d'eux-mêmes à peine de forfaiture.
Informations sur l'acquisition :
Versé aux Archives antionales en 1975.
Conditions d'accès :
Communicables selon les articles L.213-1 à 213-8 du Code du patrimoine, sous réserve des restrictions imposées par l’état matériel des documents.
Conditions d'utilisation :
Reproduction et réutilisation selon le règlement des salles de consultation en vigueur aux Archives nationales.
Description physique :
Importance matérielle :
19 articles.
Ressources complémentaires :
Localisation physique :
Pierrefitte-sur-Seine
Organisme responsable de l'accès intellectuel :
Archives nationales de France
Identifiant de l'inventaire d'archives :
FRAN_IR_001684