Page d'histoire : Jean-Baptiste Charcot Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), 15 juillet 1867 – En mer (Islande), 16 septembre 1936

Jean-Baptiste Charcot, s.d.

A la Sorbonne, en 1929, Jean-Baptiste Charcot termine sa conférence sur sa mission de 1928 à la recherche de l’explorateur Amundsen par ces mots : « Je range soigneusement mes moufles, mes bottes, tous mes vêtements polaires ; avec mon bateau, ils furent les auxiliaires de mes premiers efforts et les témoins d’illusion et d’espoir qui disparaissent sous l’horizon du temps comme les sommets des  icebergs sous l’horizon de la banquise. Nous avons vieilli ensemble, nous nous sommes usés dans le même travail ; avons-nous terminé ? À Dieu vat ! »

Avec ce balancement du corps propre aux habitués du roulis, Charcot ne semble pas crédible ! Comment peut-il tourner le dos à l’action et mettre un terme à cette passion de la navigation, de la lutte avec les glaces ? Placé toute sa vie durant sous la double emprise du doute et de la volonté, ce que résume sa devise « Pourquoi pas ? », Charcot ne va pas ranger ses affaires sur les étagères de l’histoire mais remettre ses vêtements polaires pour repartir à bord du Pourquoi-Pas ?

Né en juillet 1867 dans une famille aisée, grandissant dans l’ombre de son père admiré et respecté, l’illustre professeur Jean-Martin Charcot, le jeune Jean-Baptiste va vite montrer une attirance, une vocation pour le monde de la mer. Après des études de médecine pour satisfaire la volonté paternelle, Charcot va vivre son rêve et rencontrer ses premières glaces flottantes en 1902 au nord du cercle arctique. L’appel des régions polaires va se faire entendre. Rêve et destin ne semblent faire plus qu’un. C’est ainsi qu’il va permettre à la France de revenir en Antarctique, plus de soixante ans après Dumont d’Urville. Charcot est le premier à considérer les régions polaires comme un terrain de travail et non comme un champ de courses. Il va faire flotter le pavillon national au service de la science en dirigeant deux expéditions avec hivernage en Antarctique, celle du Français (1903-1905) puis du Pourquoi-Pas ? (1908-1910). Charcot s’affirme très vite comme un précurseur. Pour lui, l’Antarctique est une véritable terre de défis pour la science, où l’hivernage sur le terrain apporte cette notion de durée indispensable à un travail approfondi et comparatif au cours des saisons. Au-delà de son ambition scientifique, il est important de souligner la démarche résolument innovante de Charcot. En effet, il pose les bases d’une pratique moderne de la recherche scientifique. Celle-ci repose sur quatre piliers : le travail en équipes de recherche pluridisciplinaires, l’innovation technique et la logistique scientifique, l’ouverture internationale grâce au concours de collaborateurs étrangers et l’organisation du travail de recherche sur le terrain avec diffusion rapide des résultats.

Après la Grande Guerre où Charcot s’illustre comme homme d’action, au commandement de bateaux-pièges pour la chasse aux sous-marins allemands, il va regarder vers l’Arctique.

Continuant de tourner le dos aux exploits personnels, Charcot assigne à ses missions vers le nord un but de recherche scientifique assorti d’une aide en direction des autres explorateurs et notamment du jeune Paul-Émile Victor. Ce travail de recherche scientifique maritime va lui permettre de créer un axe privilégié de collaboration avec la marine nationale. Celui-ci verra son accomplissement lors de la deuxième Année polaire internationale 1932-1933 où la France installe une station scientifique sur la côte est du Groenland. Charcot avait longtemps rêvé d’une participation officielle de son pays aux entreprises polaires. C’est chose faite à l’occasion de cette coopération scientifique internationale. Son rêve qui devient réalité est comme le couronnement de son œuvre.

Les collaborateurs de Charcot sont unanimes : il y a une famille du Pourquoi-Pas ? En effet, loin des profits et des intérêts personnels, Charcot insuffle une certaine idée de la valeur où chacun peut mesurer ses forces et appréhender ses limites. Charcot devient alors un point de ralliement autour d’une certaine vision de l’honneur soutenu par une exigence morale indiscutable. Peut-être les vertus d’un chef ? Mais plus que cela. Beaucoup de ses collaborateurs ont suivi des trajectoires exemplaires. À la qualité des disciples, on peut mesurer celle du maître. Continuons à nous laisser bercer par le rayonnement de Charcot, par cette existence qui est comme un exemple. À l’image de sa vie, Charcot ne pouvait avoir une mort banale en ce matin du 16 septembre 1936 au milieu de cette redoutable tempête d’équinoxe. Dans le naufrage de son navire, Charcot est-il vraiment mort ? Dans son ultime action d’homme de mer, il a basculé de la temporalité à l’éternité.

Serge Kahn, biographe spécialiste des explorations polaires françaises

Pour aller plus loin

Source: Commemorations Collection 2017

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