Page d'histoire : « Vous êtes formidable », les cinquante ans d'Europe 1 1955

Europe n° 1 est une légende. Dans un paysage radiophonique que la Libération avait voulu assaini de tous les miasmes de l’Occupation et de la défaite, les ondes étaient rares : trois stations publiques, trois postes privés, dont les zones se recouvraient peu ne donnaient à chaque Français, au mieux, que le choix entre 4 ou 5 stations. L’affaire semblait verrouillée et nul n’envisageait la création d’une nouvelle radio. Pourtant, au début des années cinquante, un émetteur est bâti en Sarre et l’autorisation, implicite, d’émettre sur le territoire français acquise. Les émissions démarrent véritablement, après quelques essais malheureux, dans les premiers mois de l’année 1955. Europe n° 1 est la trouvaille de deux capitaines d’industrie, Charles Michelson pour la genèse, Sylvain Floirat pour l’avènement, qui tous deux se passionnent pour ce projet. Les débuts sont difficiles, tant financièrement que politiquement, mais pourtant, dès l’origine, se forge la légende dorée de la station.

Le journaliste Louis Merlin a quitté Radio Luxembourg pour la rejoindre. Pour l’imposer, pour faire parler d’elle, il s’applique à la distinguer en tout de la vénérable station de la rue Bayard, Radio Luxembourg. Il embauche une rédaction dynamique, des personnalités, des jeunes ambitieux, limite la durée des émissions, renouvelle la programmation musicale. Bref, il innove, attire l’attention et fait parler de la nouvelle station à la fois pour intéresser des investisseurs et pour garantir l’avenir du poste face à un gouvernement auquel il ne peut pas s’opposer frontalement. Europe n° 1 bouscule les modèles radio-phoniques un peu languissants des stations existantes, surtout celles du service public, mais en les caricaturant parfois pour mieux s’en distinguer.

En matière d’information, la rupture est plus nette car Europe n° 1 en fait une priorité. La nouvelle station mise doublement sur la liberté : elle libère ses reporters de leur pesant magnétophone pour les équiper du léger Nagra et elle les libère d’une censure plus pesante encore. Elle leur a donné pour mission d’être sur tous les fronts de l’information, et les nouvelles ne manquent pas entre une Europe de l’Est en pleine crise hongroise, l’affaire de Suez, les soulèvements au Maghreb… Aussi, très vite, ses journalistes, encadrés par des aînés réputés et prestigieux comme Maurice Siégel ou Pierre Sabbagh, sont crédités d’une objectivité sans équivalent sur les ondes publiques. Là encore, la station joue ses cartes avec finesse pour conserver sa liberté de ton sans contrarier par trop un pouvoir dont elle dépend désormais directement. Dès 1959, en effet, l’entreprise publique Sofirad a racheté plus du tiers de ses parts. Les différends ne manqueront pas, allant jusqu’à entraîner le départ de M. Siegel en 1974.

La station est particulièrement douée pour sentir l’air du temps, s’adapter aux transformations sociales. Ses populaires émissions pour la -jeunesse, comme le mythique « Salut les copains », bénéficie de la diffusion massive des transistors dès le milieu des années 60. La station dit à ses auditeurs qu’ils sont formidables (selon le titre d’une émission populaire de Pierre Bellemare créée en 1956) et attend d’eux en retour qu’ils lui disent qu’elle est la plus belle. Ceux-ci sont au rendez-vous, sans atteindre toutefois les parts de marché de la station luxembourgeoise.

Cinquante ans après sa création, Europe 1 est à la fois fragile et prospère. Fragile parce qu’elle a affronté douloureusement la recomposition du paysage radiophonique des années 80 qui la concurrençait directement sur son terrain de la modernité proclamée, fragile parce que les chiffres d’audience cumulée la placent toujours après sa grande concurrente privée, RTL, bien que l’écart se réduise au fil des ans entre ces deux stations généralistes, mais aussi après les deux grandes stations du service public, France Inter et France Info, qui ont la chance de bénéficier d’un plus large territoire d’audience puisqu’elles disposent d’un nombre nettement plus important d’émetteurs. Mais prospère en même temps puisqu’elle est la figure de proue d’un réseau radiophonique bien établi (Europe 2, RFM) au sein du groupe Lagardère. Europe 1 s’est imposé comme un acteur majeur du paysage radiophonique français.

 

Cécile Méadel
chercheuse à l’École des mines de Paris – centre de sociologie de l’innovation

Source: Commemorations Collection 2005

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Méadel, Cécile

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Radiodiffusion

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