Page d'histoire : Dominique Jean Larrey Baudéan (Hautes-Pyrénées), 7 juillet 1766 - Lyon, 25 juillet 1842

Larrey opérant sur le champ de bataille,
tableau à la cire de Charles Louis Müller, 1850,
Paris, Académie nationale de médecine.
© Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine /
cliché Philippe Fuzeau

Dominant les fumées des batteries de Waterloo, Wellington interrompt le tir dès qu’il reconnaît la silhouette trapue de Larrey penché sur ses blessés : « Je salue l’honneur et la loyauté qui passent ! ».

Le chirurgien de la Garde impériale est devenu en Europe une légende vivante. Comme celle de Napoléon, sa vie est aussi un roman.

Robuste Pyrénéen né en 1766, étudiant surdoué, il a brûlé les étapes. Tout jeune, il navigue comme chirurgien sur La Vigilante dans l’Atlantique Nord, se familiarise avec la médecine des glaces, invente un bouillon antiscorbutique pour ses marins. De retour à Paris, il conduit une cohorte de mille cinq cents jeunes gens à l’assaut de la Bastille. Mobilisé dans l’armée du Rhin, il soigne les volontaires de l’an II, invente l’ambulance volante au secours des blessés sur le champ de bataille. Et en Italie le bouche-à-bouche pour réanimer les noyés.

Remarqué par Bonaparte, il en devient un familier. L’expédition d’Égypte le marquera à jamais. Il combat aux Pyramides. Au Caire, il multiplie les initiatives : création d’hôpitaux, ambulances-dromadaires à deux corbeilles en palmes tressées, traitement des maladies tropicales, de la peste, publications à l’Institut d’Égypte. Adulé par l’armée, il gagne aussi l’estime d’un bey mamelouk qui lui offre douze superbes odalisques…

Commandeur de la Légion d’honneur au retour d’Égypte, il assiste au Sacre en témoin sceptique, inquiet de l’avenir de la France. Commence ensuite pour ce baron d’Empire une fantastique chevauchée à travers l’Europe. Du haut du moulin d’Austerlitz, Larrey distingue toute la bataille et opère la nuit entière. Après Iéna, il défile sous la porte de Brandebourg. Son heure de gloire l’attend à Eylau, où l’énorme charge de quatre-vingts escadrons n’est qu’ouragan d’acier, éclairs de sabre, pluie de sang, vent de mort. Dans une grange délabrée, l’afflux des blessés français ou russes est tel que Larrey, debout dans la neige, s’oblige à pratiquer en moins d’une minute, parfois à la lueur d’une chandelle, des amputations précoces pour prendre de vitesse tétanos et gangrène. L’aventure se poursuit de la révolte de Madrid aux ponts du Danube, de la Moskowa à l’incendie de Moscou, des passerelles de la Bérézina (il sauve deux mille blessés de l’ataxie catarrhale de congélation) au peloton d’exécution prussien de Waterloo auquel il échappe par miracle. Familier de la paille des bivouacs comme des ors des palais, intègre et indépendant, ce commensal de Napoléon est un des rares à lui tenir tête quand le bien ou l’honneur des hommes l’exige. Doué d’une singulière prémonition, il pressent l’ère bactériologique et codifi e des techniques chirurgicales inédites, audacieuses pour l’époque, qui seront reprises en 1914 !

Précurseur de la médecine humanitaire et des conventions de Genève, ne connaissant que la souffrance des hommes, il soigne l’ennemi comme l’ami, le général comme le troupier. Il ouvre partout des écoles de chirurgie de guerre ; les cours européennes, voire le Brésil ou les États-Unis, sollicitent son art. Chirurgien en chef des Invalides sous la monarchie de Juillet, il postule à soixante-seize ans une mission d’inspection en Algérie pour enfin retrouver l’armée au combat. Emporté par une pneumonie, il s’éteint peu après. L’unique mention du testament de Napoléon est pour Larrey : « C’est l’homme le plus vertueux que j’aie connu. »

Jean Marchioni
docteur en médecine
pédiatre (e. r.)

Source: Commemorations Collection 2016

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