Page d'histoire : Nicolas de Staël Saint-Pétersbourg (Russie), 5 janvier 1914 - Antibes (Alpes-Maritimes), 16 mars 1955

« L’espace pictural est un mur, mais tous les oiseaux du monde y volent librement. À toutes profondeurs », Nicolas de Staël, lettre à Pierre Lecuire,

Paris, 3 décembre 1949.

L’œuvre de Nicolas de Staël, réalisée au cours de quinze années d’un travail sans relâche – plus de mille peintures répertoriées entre 1940 et 1955 – tient une place singulière dans l’art d’après-guerre. Bien qu’appartenant nécessairement à son époque, qui voit la prédominance de différentes formes d’abstraction, privilégiant la matière, le geste et la forme, Staël réfutait toute appartenance à un groupe ou affiliation à une théorie. Dépassant l’opposition entre abstraction et figuration, revendiquant son attachement à la peinture « traditionnelle », son œuvre a depuis les années 1950 rencontré une grande reconnaissance ainsi qu’une réelle popularité. Influente tout en restant unique, sans véritable descendance, l’œuvre de Staël a pu être perçue comme un aboutissement, dans une perspective historique, de la peinture moderne.

Nicolas de Staël von Holstein, né à Saint-Pétersbourg, est le fils d’un général russe vice-gouverneur de la forteresse Pierre-et-Paul. Il passe ses premières années dans un milieu aisé et austère. La révolution de 1917 obligera les Staël à fuir la Russie pour la Pologne. Son père meurt en 1921, sa mère l’année suivante. Nicolas de Staël et ses deux sœurs sont confiés aux Fricero, une famille d’origine russe installée en Belgique. Sa vocation de peintre s’affirme rapidement et, après un voyage en Hollande en 1933 où il découvre Rembrandt, Hercule Seghers ou Vermeer, il entre à l’Académie des beaux-arts de Saint-Gilles-les-Bruxelles, s’inscrivant également à l’Académie Royale des beaux-arts. Pendant cette période de formation, l’œuvre de Staël reste figurative. Staël voyage dans le Midi de la France, en Espagne, puis au Maroc, dessine et peint d’après les lieux qu’il parcourt. C’est lorsqu’il s’installe à Nice en zone libre en 1940 qu’il fait connaissance avec les grands pionniers de l’abstraction de la génération précédente, Sonia Delaunay, Arp et Magnelli dont l’influence sera importante. Il développe alors une œuvre abstraite, aboutissant à partir de 1942 à un style qui lui est propre. Cette période voit s’épanouir une peinture construite par des lignes de force anguleuses, aux tonalités souvent sombres. Dès 1949, les formes s’élargissent et la palette s’éclaircit, créant un nouveau type d’espace pictural, fait de masses colorées à la matière épaisse, comme dans Composition, 1949 (huile sur toile, musée national d’art moderne). Cette œuvre, achetée par Bernard Dorival, est la première de l’artiste qui entre dans les collections nationales. Staël insiste pour ne pas être accroché aux côtés des « abstraits », témoignant ainsi sa volonté d’indépendance et son refus d’entrer dans le vieux débat entre figuration et abstraction, qui se poursuit sur la scène artistique de ces années d’après-guerre. L’espace – abstrait ou figuratif – est la seule réalité qui compte pour lui. Ses œuvres évoluent en 1951 vers des compositions construites par des « tesselles », formant des harmonies vibrantes et lumineuses. C’est également l’année de la rencontre décisive avec le poète René Char, qui donne lieu à la réalisation commune du livre Poèmes. Staël écrira à Char comment ce travail a accompagné pour lui la redécouverte de « la passion […] pour les grands ciels, les feuilles en automne et toute la nostalgie d’un langage direct, sans précédent. »

Les Toits, 1951-1952 (huile sur isorel), que Staël offrira au Musée national d’art moderne, matérialise ce moment charnière dans son cheminement. Au-dessus du mur encore présent dans la partie inférieure s’ouvre l’horizon d’un ciel profond, aux tonalités grises et bleues. Renouant avec une pratique traditionnelle des peintres du XIXe siècle qui avaient ouvert la voie au paysage moderne, l’artiste ressent le besoin de quitter l’atelier pour travailler sur le motif, en contact direct avec la nature. Il réalise de nombreuses petites études à l’huile, d’abord à Paris non loin de son atelier rue Gauguet, mais aussi dans les environs de Paris, en Normandie et dans le Sud de la France dont il redécouvre l’éblouissante lumière. 1952 est également l’année de la « révélation » reçue au Parc-des-Princes pendant le match France-Suède, qui donnera lieu à la fameuse série des Footballeurs. Au Salon de mai est présentée la monumentale Tristesse du roi de Matisse. Les couleurs pures des gouaches découpées lui font une impression dont l’influence se laisse deviner dans les grands aplats de couleurs pures qu’il pourra utiliser à partir de 1953.

Pendant ses quatre dernières années, Staël se consacre, à travers paysages, nus, scènes d’atelier ou natures mortes, à restituer, à donner un équivalent en peinture à ce « choc » permanent reçu face à la vie, dans les différents lieux qu’il traverse : la Provence, l’Italie et la Sicile, mais aussi l’Île-de-France, la Normandie, et le Nord - Pas-de-Calais.

En octobre 1954, le peintre s’installe à Antibes sur les remparts. Il y réalise de nombreuses marines, vues du port et du Fort Carré, vues de l’atelier, dans une matière de plus en plus fluide, parfois presque transparente. Ses derniers jours sont consacrés au Concert (1955, huile sur toile, musée Picasso, Antibes), qu’il laisse inachevé. Cette œuvre ultime et monumentale, inspirée par des œuvres de Webern et de Schoenberg entendues à Paris le 5 mars 1955, a été réalisée dans le Fort Carré qui avait été mis à sa disposition. Elle devait prendre place au sein d’une exposition prévue pour l’été et maintenue après son suicide, le 16 mars 1955. Reconnue sur la scène internationale dès le début des années 1950, en particulier aux États-Unis, son œuvre a fait l’objet d’importantes rétrospectives, notamment à la fondation Maeght en 1991, au Musée national d’art moderne en 2003, à la fondation Gianadda à Martigny (Suisse) en 2011. En France, Nicolas de Staël est représenté dans de nombreuses collections publiques prestigieuses, dont le musée national d’art moderne, la Bibliothèque nationale de France, le musée Picasso d’Antibes, ou le musée des beaux-arts de Dijon (donation Granville.

Virginie Delcourt
responsable des collections du musée d’art moderne André Malraux, Le Havre

Source: Commemorations Collection 2014

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