Page d'histoire : Charlemagne 2 avril 747 ou 748 - Aix-la-Chapelle (Allemagne), 28 janvier 814

Temple tétrastyle au revers
© Bibliothèque nationale de France

Monnaie de Charlemagne en argent
Buste lauré de Charlemagne à l'avers

Charlemagne mourut en son palais d’Aix-la-Chapelle le 28 janvier 814, au terme de sept jours d’agonie si l’on en croit son biographe, Éginhard. Il régnait sur le monde franc depuis 768 et avait ceint la couronne impériale 14 ans plus tôt. Le souvenir qu’il laissa était, selon son épitaphe, celui d’un « grand et orthodoxe empereur, qui noblement accrut le royaume des Francs ». En quelques mots, l’essentiel est dit : Charles était « grand ». Cette épithète sert à qualifier le règne hors norme de cet homme également d’une haute stature (avec ses 1,84 m, il dépassait d’une tête la plupart de ses contemporains !). En témoigne le vers qui ouvre la Chanson de Roland, au XIe siècle : « Carles li reis, nostre emperere magnes » (le roi Charles, notre grand empereur). « Charles, grand empereur » est peu à peu devenu « Charles le Grand, empereur » – autrement dit « Charlemagne ». Il s’est également imposé comme « orthodoxe » en défendant la « voie droite » d’une doctrine chrétienne alors encore en formation : il intervint dans divers débats théologiques et fit préciser par les érudits qui le conseillaient plusieurs éléments du dogme concernant la Trinité ; lors du concile convoqué à Francfort en 794, il fit aussi condamner la vénération des icônes telle qu’elle avait été rétablie à Byzance sept ans plus tôt. Le dernier trait distinctif mis en exergue dans l’épitaphe de Charles est la considérable extension du royaume qu’il réalisa par ses multiples guerres de conquête vers le Sud, l’Est et le Nord. Charles poursuivit ainsi l’œuvre commencée par son grand-père et homonyme, Charles Martel († 741), et par son père, Pépin le Bref († 768), mais il lui donna une tout autre ampleur, parvenant en une trentaine d’années à se rendre maître de l’Italie lombarde, de la Bavière et des terres sises de l’Èbre à l’Elbe ! Les campagnes militaires au nord de la péninsule ibérique avaient été engagées en soutien aux opposants à l’émir de Cordoue et la conquête du royaume lombard, en 774, avait été motivée par la nécessité de défendre la papauté contre les appétits territoriaux du roi Didier. Quant à la conquête de la Saxe, elle visait à convertir les païens à la foi chrétienne et à ouvrir la voie du Salut à de nouveaux peuples. La victoire d’un des fils de Charlemagne, Pépin, roi d’Italie, sur les Avars, un peuple des steppes dont il s’empara du trésor en 796, offrit également de nouvelles perspectives missionnaires jusque dans la région du lac Balaton.

La conquête des territoires saxons (à l’est du Rhin et au nord d’une ligne allant grosso modo de Cologne à Erfurt) fut une entreprise particulièrement difficile : à partir de 772, quand les troupes franques détruisirent l’Irminsul (l’arbre sacré qui, pour les Saxons, soutenait le ciel), chaque été fut ensanglanté par de nouvelles expéditions militaires, car les promesses de versement d’un tribut en gage de leur soumission n’engageaient jamais l’ensemble des Saxons, même s’ils s’étaient rassemblés sous le commandement d’un chef unique, Widukind. Le baptême de ce dernier en 784, au palais d’Attigny, fut l’occasion d’une mise en scène politique symbolisant l’intégration encore toute théorique des Saxons au peuple des Francs, dont Éginhard prétend qu’ils ne firent plus qu’un : la cérémonie eut lieu en plein cœur de la Francia (dans l’actuel département des Ardennes), c’est-à-dire à 400 ou 500 km des bases du chef saxon, dont le roi fut le propre parrain. L’attention particulière que Charles prêtait à la Saxe trouve aussi son illustration dans la fondation de Paderborn, près des sources de la Lippe, que certains annalistes désignent comme l’urbs Karoli, la « ville de Charles » : c’est là qu’en 799 le roi des Francs reçut le pape Léon III venu implorer son aide contre les Romains révoltés. Le message était clair : le pacificateur de la Saxe, qui avait mis sa vaillance au service de l’Évangile, avait prouvé qu’il était digne d’être appelé « Auguste », ce qui eut lieu à l’occasion de son quatrième voyage à Rome, à la Noël de l’an 800. Dans la basilique Saint-Pierre, il fut acclamé « grand et pacifique empereur des Romains couronné par Dieu ». Il était désormais non seulement roi des Francs et des Lombards, mais gouvernait aussi l’Empire romain. Cette juxtaposition des titres prouve l’importance de son identité franque aux yeux de Charles. Néanmoins, il conçut son pouvoir différemment : au roi guerrier succédait un empereur législateur.

Alors que les vingt premières années du règne de Charles avaient été rythmées par les expéditions armées, l’an 789 marque une césure annonciatrice d’une phase nouvelle : c’est de cette année que date le grand capitulaire programmatique qu’on appelle « l’Avertissement général » (Admonitio generalis). Il s’agit d’un ensemble de principes adressés « à tous les ordres de la hiérarchie ecclésiastique et aux dignitaires du pouvoir séculier » réglant la conduite des clercs et de l’ensemble du peuple chrétien dont le roi est le guide. Ce texte normatif fut produit sur les conseils de divers savants étrangers accueillis à la cour, tel l’Anglo-Saxon Alcuin. C’est l’un des textes fondamentaux de la renaissance carolingienne, un mouvement de correction de l’écriture, de la langue et des mœurs qui vise à garantir une bonne compréhension de la Bible et des textes réglant les relations sociales, à commencer par le serment de fidélité que chaque homme libre de plus de douze ans doit prêter au roi (ou à son représentant). Mais c’est d’après l’an 800 que datent les plus nombreux capitulaires, car Charles, nouveau David, voulait aussi s’inscrire dans la ligne d’un Théodose ou d’un Justinien. Ses victoires militaires, interprétées comme l’expression du choix divin, et sa politique de réforme administrative lui valurent d’être considéré, non seulement comme le « phare de l’Europe » ainsi que le célèbre un poète contemporain, mais aussi comme un modèle en France et dans l’Empire : sa silhouette orne le sceptre de Charles V (1364-1380), illustration parfaite de la dimension tutélaire de Charlemagne pour celui qui est « empereur en son royaume » ; en 1165, Frédéric Barberousse l’avait fait canoniser. Aujourd’hui, le « prix Charlemagne » décerné chaque année à une personnalité ayant œuvré à la construction européenne illustre le caractère toujours actuel de l’épisode carolingien : révolus sont les temps où l’on cherchait à voir en Charlemagne un roi de France ou un empereur d’Allemagne. En lui, on reconnaît désormais un souverain « européen ».

Philippe Depreux
professeur d’histoire médiévale à l’université de Hambourg
membre honoraire de l’Institut universitaire de France

Voir Célébrations nationales 2000

Source: Commemorations Collection 2014

Liens