Document d'archives : Mémoires de la vallée de la Dordogne avant la construction du barrage de Bort-les-Orgues, témoignage de Yves Juillard. / Armelle...

Titre :

Mémoires de la vallée de la Dordogne avant la construction du barrage de Bort-les-Orgues, témoignage de Yves Juillard. / Armelle Faure du Groupe Links Conseil Consult France, Frédéric Bianchi du service des Archives départementales du Cantal, René Gouvéia photographe et Electricité de France : enquêteurs, producteurs. Yves Juillard : informateur. 8 décembre 2011

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Présentation du contenu
Présentation du contenu par Frédéric Bianchi :
Yves Juillard est né le 19 mai 1935 à La Siauve Basse, hameau submergé par le barrage. Il est arrivé au Monteil le 27 mars 1951, il a vécu jusqu' à seize ans dans la vallée. A dix-huit ans il est parti dans la Loire comme contrôleur laitier, il y est resté dix huit mois puis a fait son service militaire et ses classes à Barcelonnette, puis il est parti vingt-deux mois pour l'Algérie. De retour il a quitté la chambre d'agriculture et il est devenu assureur à Clermont-Ferrand. Par la suite il a créé une petite micro-centrale électrique à côté de Narbonne sur l'Aude, cette construction avait pour origine des entretiens avec l'ingénieur en chef du barrage de Bort Monsieur Bonnet. Aujourd'hui il est à la retraite. Monsieur Bonnet était quelqu'un de très affable qui était venu bien avant les expropriations, il était très optimiste, optimisme qu'il a su transmettre à la population locale malgré l'exemple du barrage du Chevril à Tignes qui s'était traduit par des expropriations dramatiques. Monsieur Bonnet l'a sensibilisé sur le fait que tout particulier peut monter sa centrale électrique. Pour lui la vallée c'était un paradis surtout pour sa mère, Marie Agathe Gai, qui y était née et dont la famille était originaire depuis plusieurs générations. La vie à La Siauve était simple mais assez rude car les fermes étaient petites ils n'avaient pas de matériel agricole, tout était fait manuellement, ils avaient juste une petite faucheuse tirée par des vaches. Les gens étaient simples assez rudes, ils n'étaient jamais partis sauf à la guerre. Les paysans avaient peu mais mangeaient bien même pendant la guerre. A La Siauve la propriété de ses grands-parents maternels, la famille Gai, s'appelait " Chez Renard ", son père lui venait de Marchal et n'a pas vécu aussi intensément ce drame. Comme autres propriétés à La Siauve il y avait " Chez Léger " c'était la famille de Pierre Boyer, il y avait chez " Lou Cardaïre " c'était la famille Peyry," Chez Couvaou " c'était la famille Besse, " Chez Mugi " c'était la famille Charbonnel et il y avait une autre maison au bord de l'eau qui était plus neuve et qui portait le nom de la famille Tissandier qui y habitait. La propriété de ses parents était d'environ dix-huit hectares mais c'était une terre très riche où il se faisait à certains endroits jusqu'à trois coupes de foin sans ajout d'engrais. Ils avaient des vergers avec pommiers, poiriers, cerisiers, néfliers arbres que son grand-père avait greffés et qui étaient en plein rendement. Ils avaient en moyenne neuf vaches et faisaient une grosse production de porcelets. Dans la vallée ses connaissances partaient d'Autre Val pas Outre Val, Autre Val c'était le hameau des " Verdier " qui habitaient juste dans la boucle de la Dordogne. Ils n'allaient pas beaucoup du côté du Lys car il fallait traverser la Dordogne mais ils connaissaient un peu la famille Perciani qui était des concurrents pour la pêche, ils braconnaient tous un peu à cette époque. Ils connaissaient tous les gens de La Siauve. Il allait à l'école à Lanobre il avait cinq kilomètres à faire matin et soir, il partait la nuit et revenait la nuit. Pour y aller il passait par la rive gauche et par Moulères pas par les Aubazines, il restait en Auvergne, il se revendique Auvergnat. Il est allé au cours complémentaire à Bort. Ils allaient parfois visiter les deux fermes de Val celle de "Monestier" et celle du château. Parfois ils poussaient jusqu' à la belle ferme de "La Tricogne". Ils prenaient le train à Bort pas à Mialet car c'était beaucoup moins commode, il fallait passer par le pont en bois dit le pont de Barry. Enfant il allait souvent à Bort en passant par la vallée, par Autre Val et par le chantier du barrage. La vie à Bort à cette époque était euphorique, c'était une ville très active, les tanneries et les commerces fonctionnaient bien ce qui a cessé d'être après la fin des travaux du barrage et la fermeture des tanneries. Pour aller à l'école de Lanobre il passait à travers prés, même l'hiver, en passant par La Siauve et Veillac. Il se souvient qu'Autre Val qui était habité par la famille Verdier, il a connu Antoine le père, ses trois fils, Louis tué à la guerre, Léon et Claude et ses deux filles Thérèse et Bernadette. A cette époque-là tout le monde voulait acheter une propriété. Il signale qu'Outre Val c'est l'embarcadère en face du Château de Val cela n'a rien à voir avec Autre Val. La propriété de la famille Verdier devait faire une vingtaine d'hectares mais c'était un enclos magnifique, très plat, ça a été la première propriété inondée. Sa famille est arrivée au Monteil le 17 mars 1951 et l'eau était à peu près à 150 mètres de la maison. A l'époque ses parents élevaient des vaches Salers ils produisaient du lait et élevaient des veaux. Ils produisaient également du Saint Nectaire qu'ils vendaient au marché de Bagnols. A l'époque les hommes travaillaient à l'extérieur et s'occupaient du bétail, fauchaient, moissonnaient et les femmes s'occupaient plus de la maison de l'élevage des porcelets. Sa mère était née dans la ferme familiale de La Siauve Basse. Il a très peu connu Port Dieu. Enfant il quittait l'école aux alentours du mois de mai car il commençait alors à y avoir du travail à la ferme. Son grand père a eu quatre filles, l'aînée et la cadette sont devenues institutrices et les deux autres, dont sa mère, faute de moyens financiers n'ont pu suivre les études qu'elles souhaitaient. Il signale que parfois ils leurs arrivaient de prendre le train pour aller voir une de leur tante à Saignes mais généralement il faisait ces quinze kilomètres à pieds. Son père avait voyagé, il avait été soldat pendant la première guerre mondiale contrairement à sa mère qui elle n'avait jamais voyagé, n'avait jamais vu Paris avant son engagement et n'avait jamais vu la mer. Pour Monsieur Juillard la construction du barrage a été la ruine de la vallée certes il y a le côté positif du plan d'eau et du tourisme qu'il a engendré mais pour ceux qui ont connu la vallée ce fut un " véritable assassinat ". En ce qui concerne les expropriations des terres il y avait eu, selon lui, en avant garde Monsieur Bonnet qui était passé dans les maisons pour dire que tout allait bien se passer et que ce barrage serait une bonne chose pour tout le monde. Dans un second temps ils ont fait une offre amiable mais selon lui certaines personnes ne connaissaient pas vraiment la valeur de leurs biens et cela les a rendu euphoriques même s'il y avait tout de même des doutes. Puis il évoque une réunion à la mairie de Mialet où tous les habitants de la vallée, les cent cinquante foyers, y ont été invités par EDF qui avait même mis à la disposition de tout le monde un bon tonneau de vin, les palabres ont alors commencées et l'auditoire n'était pas tellement opposé à ce projet sauf un, le docteur Celllier, maire de Lanobre et conseiller général qui était quelqu'un de lucide et de compétent selon Monsieur Juillard. Monsieur Cellier a tenté d'expliquer aux paysans que ce n'était pas si simple que cela qu'il fallait se réinstaller et que cela avait un coût. Il les a donc incités à discuter sérieusement de ce problème et au fur et à mesure que le niveau de la barrique de vin baissait le ton lui montait et les gens ne suivaient plus tellement le docteur Cellier car EDF avait retourné l'auditoire. Ses parents, eux, qui étaient clients du docteur l'ont vu et ont alors décidé de plaider. Pour cela il fallait aller à Aurillac puis après en appel à Tulle. Ils ont fait tout cela mais EDF avait quand même le bras long et ses parents perdaient partout alors ils ont décidé d'aller en cassation. Et c'est pour cette raison que sa mère, à cinquante ans, est montée à Paris pour défendre les intérêts de la famille, son père étant obligé de rester au pays pour s'occuper des bêtes. Finalement en cassation le procès a été cassé et il a fallu alors plaider une nouvelle fois mais à la première plaidoirie ils ont obtenu cinquante pourcents de plus d'indemnités, il y a donc fallu trois procès dont un en cassation pour obtenir ce résultat. Monsieur Julliard signale qu'hélas il n'a pas d'archives papiers de cette époque et qu'il ne peut donc pas donner de dates exactes. Il a bien entendu parler du groupement des expropriés mais ses parents eux ont décidé de faire une procédure individuelle à part et ils ont été les seuls dans ce cas. Il signale que Monsieur Cellier n'avait pas du tout confiance en Monsieur Hénault car pour lui EDF savait bien indemniser les personnes influentes du secteur. Pour lui les châtelains de Val ont été bien indemnisés et ont pu acheter une belle propriété, un beau château, ils n'ont pas eu besoin de plaider. Selon lui ceux qui ont prospecté pour acheter des propriétés en ont certes trouvées en Creuse, en Dordogne dont le coût était moindre mais dont la fertilité, aussi, était moindre. Puis il explique que les cent cinquante foyers qui sont rentrés sur le marché de l'immobilier et des terres cultivables ont inévitablement influencé les courts à la hausse. Il signale que sa mère avait la chance d'avoir comme amie la " Reine Mère " de la Maison blanche qui a bien voulu leur vendre sa propriété. Par la suite il compare les propriétés et signale que pour pouvoir acheter cette nouvelle propriété ses parents ont investi le paiement de l'indemnité attribuée par la procédure, plus les trente pour cent supplémentaires au titre de l'éviction et ils ont même dû vendre un autre terrain à Moulaire parce qu'ils n'avaient pas assez pour payer cette nouvelle propriété dont le terrain est beaucoup moins bon que celui de la vallée. Monsieur Juillard signale que ses parents n'ont pas voulu saisir la belle opportunité qui aurait consistée, après la mise en eau du barrage, à vendre du terrain pour bâtir, la demande était très forte et ils auraient gagné de l'argent et auraient ainsi pu vivre plus aisément. Monsieur Juillard ne pense pas que nous soyons capables de percevoir tout ce que les expropriés ont ressenti. Il explique que beaucoup de gens avaient acheté ici ou là et il raconte une anecdote marquante, un jour sa mère a rencontré une de ses amies, Mathilde Monestier de Val, qui était venue à un enterrement à Lanobre ils avaient été expropriés et avaient acheté une propriété en Dordogne, elle, âgée avait suivi sa fille et son gendre et elle a dit à sa mère " surtout ne t'expatrie pas ". Pour lui dans le cas du barrage de Bort il ne s'agissait pas d'une expropriation commune comme une route un bâtiment là ils avaient perdu leur vallée. Il signale que ses parents parlaient peu de cette expropriation sauf lorsqu'ils rencontraient un autre exproprié et fait un rapprochement avec son père qui ne parlait de la première guerre mondiale qu'avec ceux qui l'avaient faite. Armelle Faure, en comparaison, évoque l'exemple d'une expropriation pour la réalisation d'un port à Madagascar.

Cote :

4 AV 412-1

Description physique :

Document sonore
Collation
Collation: 1 disque compact audio

Précisions matérielles :

Durée: 1 h 9 min 36 s

Observations :

Notes ISBD
(Cote de l'original : Fg 1047 [1594] et de conservation A [1594] 1605*).

Archives départementales du Cantal

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