Page d'histoire : Jean Le Rond D’Alembert Paris, 16 novembre 1717 – Paris, 29 octobre 1783

Portrait de Jean Le Rond D’Alembert, esquisse, pastel de Maurice Quentin de La Tour, vers 1753, Saint-Quentin, musée Antoine Lécuyer.

Trouvé sur les marches de l’église Saint-Jean-le-Rond, baptisé « Jean Le Rond », celui qui deviendra le géomètre philosophe, « flambeau de l’Europe », ne prend le nom de D’Alembert qu’en 1739, pour ses premiers envois à l’Académie des sciences. Ce nom fictif, qui n’est pas une marque aristocratique, explique l’oscillation entre les deux graphies « D’Alembert » et « d’Alembert ».

Des mathématiques profondes, des essais critiques et des éloges académiques, voire de la critique sous forme académique, des batailles religieuses et politiques autour de l’Encyclopédie : ainsi se présente l’oeuvre de D’Alembert, savant aux multiples facettes, ce qui n’exclut ni les doutes ni les incertitudes. Ses travaux couvrent un vaste domaine de connaissances : mathématiques pures et mixtes, musique théorique, littérature, philosophie. Par ses activités académiques (membre de l’Académie des sciences en 1741, de l’Académie française en 1754), la rédaction du « Discours préliminaire » de l’Encyclopédie et son engagement dans la vie intellectuelle de son temps, il a laissé une marque décisive dans la pensée et l’héritage des Lumières. Les physiciens le connaissent comme auteur du principe de dynamique dit « de D’Alembert », ou par le paradoxe du même nom en hydrodynamique, les mathématiciens comme ayant démontré le théorème fondamental de l’algèbre, qui porte souvent le nom de « D’Alembert-Gauss » : autant de dénominations qui marquent le rôle joué par le savant. Il est l’initiateur de la théorie des équations aux dérivées partielles et il est connu pour ses apports décisifs aux débuts de ce qu’on appelle aujourd’hui la mécanique des milieux continus. Son approche mathématique des questions de mécanique céleste le conduit à des résultats importants pour les calculs des mouvements lunaires, sujet d’étude privilégié au XVIIIe siècle, et de façon plus remarquable encore, pour donner une démonstration théorique d’un mouvement du ciel observé depuis l’Antiquité, la précession des équinoxes, et d’un autre mouvement qui venait d’être découvert par Bradley, la nutation. D’Alembert et ses deux contemporains, Euler et Clairaut, se disputent alors l’apanage de l’antériorité ou de l’efficacité de la résolution de problèmes qui sont au coeur de la constitution de la science moderne : mécanique, astronomie, hydrodynamique, optique. Mais son nom est surtout connu comme coéditeur de l’ouvrage phare des Lumières, la grande Encyclopédie de Diderot et D’Alembert (17 volumes de textes et 11 de planches in-folio), publié entre 1751 et 1772, pour lequel D’Alembert a rédigé 1 700 articles de mathématiques, de physique et bien d’autres, au centre des polémiques de l’époque. Les travaux récents, notamment l’analyse de sa correspondance, ont renouvelé en profondeur notre vision de l’oeuvre et de l’activité du savant encyclopédiste et font revivre le quotidien de la pensée des Lumières : D’Alembert débordé par ses diverses tâches, secrétariat de l’Académie française, épreuves à corriger, jésuites à bâtonner, jansénistes à fustiger, lettres se croisant entre Paris, Genève et Berlin, dialogues à plusieurs voix et plusieurs dimensions avec Voltaire, Euler ou Lagrange, où se nouent les débats sur l’attraction newtonienne comme les combats pour la tolérance. Autour de lui résonnent aussi les voix de Condillac et Diderot, Rameau et Rousseau, Turgot et Condorcet, celles d’académiciens, de femmes de lettres, de journalistes ou de libraires-imprimeurs, comme des amitiés de tout type, depuis celle, amoureuse, de Julie de Lespinasse, jusqu’à celles, plus dangereuses mais tenues à distance, de despotes éclairés comme Catherine II de Russie ou Frédéric II de Prusse (pour qui il écrit les Éclaircissements aux Éléments de philosophie). Suivre les méandres de ses interrogations, ses réflexions et ses calculs permet non seulement d’entendre le bruit de son siècle, mais d’en discerner les différentes harmoniques, d’en comprendre les enjeux et d’en suivre les évolutions jusqu’au nôtre.

Irène Passeron
CNRS, IMJ-PRG coordinatrice des oeuvres complètes de D’Alembert

Source: Commemorations Collection 2017

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