Page d'histoire : André Campra Aix-en-Provence, 1660 (baptême le 4 décembre) - Versailles, 29 juin 1744

Pour l’auditeur du XXIe siècle, le nom d’André Campra est associé au Requiem pour solistes, chœur et orchestre dont les contrastes et les changements d’atmosphère et la vivacité des couleurs sonores font toujours impression. André Campra est certainement après Jean-Baptiste Lully et avant Jean-Philippe Rameau le compositeur français qui s’est illustré de la façon la plus éclatante et la plus constante dans les genres sacré et profane.

On retiendra aussi qu’il s’est approprié avec talent les nouveaux genres venus d’Italie, la cantate et le petit motet dans lesquels sa veine mélodique particulièrement généreuse a pu s’exprimer. Campra demeure un musicien du Sud qui fera la plus grande partie de sa carrière à Paris puis à la cour de Versailles.

Il naît à Aix-en-Provence en 1660 et reçoit sa première éducation musicale à partir de 14 ans à la cathédrale Saint-Sauveur sous la direction du maître de chapelle Guillaume Poitevin. S’engage ensuite une carrière de maître de chapelle itinérant à Saint-Trophime d’Arles (1681-1683) et Saint-Étienne de Toulouse entre autres. Le prestigieux poste de maître de chapelle de Notre-Dame de Paris étant libre après la mort de Jean Mignon, Campra est recruté par le chapitre en mai 1694. De telles fonctions supposent la prise en charge musicale de cérémonies religieuses mais aussi la prise en charge de la maîtrise de la cathédrale. On attend du maître une conduite irréprochable et un engagement à ne pas céder aux instances du monde, exigences difficilement conciliables avec une carrière à l’opéra, consécration de tout compositeur à l’époque. Le succès que Campra rencontre avec L’Europe galante en 1697 entraîne son éloignement de sa charge à Notre-Dame à compter de 1700. La messe Ad majorem Dei gloriam (publiée en 1699) écrite à 4 voix, d’une grande sobriété et d’une grande plénitude, témoigne de la remarquable maîtrise de la métrique latine que l’on retrouvera dans toutes ses œuvres religieuses.

Si l’opéra L’Europe galante, sur un livret d’Antoine Houdar de La Motte, est resté dans les mémoires, c’est que le livret mettant en scène diverses nations (la France, l’Espagne, l’Italie, la Turquie) affirmait un genre, l’opéra-ballet, qui deviendrait populaire au point de concurrencer la tragédie lyrique sur la scène de l’opéra. De plus, Campra y inséra un, puis plusieurs airs dans le style italien. Dès lors, Campra devient l’un des principaux compositeurs à succès de l’Académie royale de musique tant dans le domaine de la tragédie en musique (Hésione 1700, Tancrède 1702, Iphigénie en Tauride 1704, Idoménée 1712) que dans celui de l’opéra-ballet (Le Carnaval de Venise 1699, Les Muses 1703, Les Fêtes vénitiennes 1710, Le Triomphe de la Folie 1711). L’opéra-ballet composé d’actes indépendants sur une intrigue souvent convenue fait une large place notamment dans le divertissement final à la musique de danse dans laquelle Campra excelle. Parmi les opéras-ballets, le plus novateur est sans conteste Les Fêtes vénitiennes sur un livret d’Antoine Danchet où Campra, au sein d’une intrigue qui met habilement en scène le théâtre dans le théâtre, parvient à une synthèse des styles italien et français tout en faisant une démonstration virtuose de toutes les capacités d’expression de la musique. Parmi les livrets des tragédies lyriques, celui d’Idoménée par Antoine Danchet inspirera Varesco, le librettiste de Mozart. Dans cette tragédie, la scène des retrouvailles entre Idoménée et Idamante, son fils, qu’il a promis de sacrifier, donne toute la mesure des qualités expressives de Campra.

Parallèlement à sa brillante carrière à l’Académie royale de musique où il dirige ses propres ouvrages comme « batteur de mesure », Campra fait paraître au cours des premières décennies du XVIIIe siècle cinq livres de petits motets pour voix solistes (1695, 1700, 1703, 1706, 1720) et trois livres de cantates (1708, 1714, 1728) dont maintes rééditions attestent le succès. Dans ces œuvres brillent son évidente virtuosité d’écriture ainsi qu’une veine mélodique inventive et généreuse. Certains textes comme le motet Salve Regina atteignent à un degré d’émotion rarement égalé. Les cantates du troisième livre s’écartent du modèle initial pour soliste et basse continue et font appel à un orchestre enrichi de hautbois et de trompettes dans un style décoratif qui se rapproche de celui de l’opéra. Leur écriture vocale laisse libre cours à la virtuosité ornementale, moyen que Campra n’hésite pas à employer si le texte le suggère. La nomination de Campra en 1723 comme sous-maître de la Chapelle royale est due très probablement à l’initiative du régent Philippe d’Orléans qui prise la musique italienne et souhaite renouveler le style musical de la cour. Cette fonction conduit le compositeur de nouveau vers le genre du grand motet écrit le plus souvent sur des textes de psaumes. Entre 1723 et 1741, il en compose plus d’une vingtaine pour le service de la Chapelle royale. La sûreté avec laquelle il manie l’écriture du chœur va de pair avec une révolution insensible qui conduit d’une écriture à 5 voix vers une écriture à 4 voix. Dans la tradition des grands motets de Delalande, Campra varie habilement les effets sonores en alternant les versets pour chœur et les versets pour solistes, certains étant traités sous la forme d’airs de forme da capo. Ces motets sont aussi exécutés au Concert spirituel, concert public fondé en 1725. Les contemporains de Campra ont salué la grandeur et le sens du tragique de ces œuvres. Son œuvre survit jusque vers les années 1770 et l’Opéra de Paris reprend pour la dernière fois Iphigénie en Tauride en 1780.

Plusieurs œuvres scéniques du musicien ont été redécouvertes au XXe siècle grâce au Festival d’Aix-en-Provence, Les Fêtes vénitiennes et Idoménée (1992).

Catherine Massip
conservateur général des bibliothèques
directrice du département de la Musique à la Bibliothèque nationale de France

Source: Commemorations Collection 2010

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