Page d'histoire : Promulgation de la loi du 31 décembre 1913 sur les Monuments Historiques 31 décembre 1913

Vue générale du château comtal de Carcassonne
Tirage photographique noir et blanc attribué à Vié, vers 1850
© Archives départementales de l'Aude
 

 

La loi du 31 décembre 1913 sur les Monuments Historiques appartient au « club » très fermé des grandes lois de la République dont on fête régulièrement l’anniversaire : ce texte est resté en France la clé de voûte de notre droit de protection du patrimoine pendant la totalité du XXe siècle. En 2004, lorsque le code du patrimoine a été créé, elle en a constitué l’ossature principale pour la partie consacrée aux monuments historiques, ce qui lui a assuré sa consécration définitive. Comment expliquer ce succès et cette longévité ?

La loi de 1913 n’est pas une loi d’opportunité, votée dans l’urgence à la suite d’une catastrophe ou d’un acte de vandalisme majeur : elle est l’aboutissement de la lente prise de conscience patrimoniale apparue durant la Révolution française et qui s’est développée durant le XIXe siècle. Entre le fameux discours de l’abbé Grégoire devant la Convention le 31 août 1794, qui dénonce le vandalisme et plaide pour la conservation de la « propriété du peuple », et la première grande loi de protection du patrimoine, celle du 30 mars 1887 pour la conservation des monuments et objets d’art ayant un intérêt historique et artistique, le XIXe siècle voit la mise en place progressive d’une politique nationale de sauvegarde des monuments historiques. La création par Guizot en 1830 de l’Inspection générale des Monuments Historiques en constitue une étape importante : la première liste des monuments « pour lesquels des secours ont été demandés », établie en 1840 par la Commission des Monuments Historiques à la demande de Prosper Mérimée, nommé inspecteur général en 1834, préfigure les futurs  classements  parmi  les  Monuments Historiques. Les premières campagnes de restauration sont alors lancées sur des monuments majeurs du patrimoine médiéval, à l’image des chantiers conduits par Viollet-le-Duc sur la basilique de Vézelay, la cité de Carcassonne ou la cathédrale Notre-Dame de Paris.

La loi de 1887, largement inspirée par la Commission des Monuments Historiques, avait posé les principes d’une législation de protection des immeubles et des objets présentant un intérêt national, mais aussi d’une première réglementation des fouilles archéologiques. Elle préfigurait clairement la loi de 1913 dans son architecture comme dans ses fondements juridiques. Elle en présentait déjà les dispositions essentielles : les immeubles dont la conservation peut avoir, au point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt national, sont classés par l’État et ne peuvent être détruits, même en partie, ou restaurés qu’avec son consentement. Toutefois la portée du texte restait limitée, car elle restreignait le classement aux monuments appartenant à des personnes publiques et l’accord des propriétaires était exigé pour les immeubles privés.

Les dispositions de la loi de 1887 apparaissent rapidement insuffisantes, notamment à la suite de la promulgation de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l'État, qui accélère le rythme des classements, notamment des objets religieux. Il apparaît donc indispensable de remettre sur le métier la législation de protection des monuments historiques.

Le gouvernement d’Aristide Briand dépose le 11 novembre 1910 un nouveau projet de loi devant la Chambre des députés qui ne sera définitivement voté par le Sénat que trois ans plus tard, le 29 décembre 1913 : l’examen du texte par les deux chambres suit le lent cheminement imposé par la navette parlementaire.

La loi sur les Monuments Historiques, promulguée le 31 décembre1913 et publiée au Journal officiel le 4 janvier 1914, améliore le texte de 1887, intègre plusieurs dispositions figurant dans des lois postérieures, et les complète sur plusieurs points essentiels. Elle élargit la portée du texte en substituant la notion d’intérêt public à celle d’intérêt national, elle porte atteinte pour la première fois au droit de propriété en étendant le classement d’office aux monuments privés, elle instaure l’instance de classement qui permet à l’État d’agir dans l’urgence et elle prévoit une nouvelle mesure de protection, l’inscription à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques. La loi de 1913 donne ainsi à l’État des moyens puissants pour assurer la pérennité d’édifices ou d’objets relevant désormais du patrimoine commun de la nation.

Suffisamment concise dans sa rédaction et souple dans son champ d’application pour s’adapter aux évolutions doctrinales, la loi de 1913 a défini un statut juridique durable pour les monuments historiques qu’aucune des nombreuses modifications du texte intervenues depuis cette date n’altèrera.

Dès la fin du XIXe et tout au long du XXe siècle, le champ du patrimoine s’élargit en effet de manière progressive et continue. La première liste de monuments historiques établie en 1840 comprend principalement des monuments antiques et médiévaux ainsi que des sites préhistoriques. Aucun édifice n’est postérieur au XVIe siècle. Peu à peu la liste s’ouvre aux XVIIe et XVIIIe siècles, mais il faut attendre 1913 pour qu’y figurent le château de Versailles ou le palais du Luxembourg. Dans la liste de 1913, le XIXe siècle est le grand absent et ce n’est réellement que dans les années soixante, sous l’impulsion d’André Malraux, que le champ des monuments historiques s’étend aux XIXe et XXe siècles. Au-delà des périodes chronologiques concernées, du paléolithique supérieur au XXe siècle, le classement au titre des monuments historiques concerne progressivement tous les types d’édifices : vestiges archéologiques, églises, châteaux, jardins puis patrimoine rural, industriel et aujourd’hui habitat privé ou social. De la même manière, les objets religieux constituent initialement l’écrasante majorité des objets protégés, mais la loi de 1913 permet également le classement de machines-outils, de bateaux ou de locomotives.

Quantitativement, la liste de 1840 comprenait 934 monuments. Lorsque la loi de 1913 est publiée, on comptait 4 800 monuments historiques. Il y a aujourd’hui 43 000 édifices protégés, dont plus de 14 000 sont classés, 300 000 objets mobiliers, dont 1 400 orgues. Chaque année, environ 500 immeubles et 3 000 objets mobiliers font l’objet d’une mesure de protection par le ministère de la Culture et de la Communication.

La réussite de cette loi n’aurait pu être aussi grande sans l’engouement du public pour le patrimoine, véritable « passion française ». En témoigne le succès des « Journées portes ouvertes dans les monuments historiques », créées en 1984 et devenues aujourd’hui « Journées européennes du patrimoine », qui voient chaque année douze millions de visiteurs parcourir les plus beaux témoignages de notre passé.

 

Michel Clément
conservateur général du Patrimoine

 

Voir aussi Célébrations nationales 2003 ; 2007, et Commémorations nationales 2012


Consulter la publication électronique « Célébrations nationales » 2003, Prosper Mérimée.

 

Pour aller plus loin

  • Suite à l'exposition "Les Archives en font tout un monument. Un siècle de protection des Monuments historiques dans le Jura" organisée en  2013 par les Archives du Jura, celles-ci proposent, à travers une exposition virtuelle consultable sur leur site web, de  découvrir des monuments jurassiens, des objets remarquables, ainsi que les dessous de la loi du 31 décembre 1913 et son évolution durant 100 ans.
  • Le ministère de la Culture consacre des pages aux Monuments historiques sur son site web
  • La direction de l'Architecture et du Patrimoine propose des bases de données documentaires dédiées aux Monuments historiques

 

 


 

Source: Commemorations Collection 2013

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