Page d'histoire : Constitution de la Ve République 4 octobre 1958

La Constitution de la Ve République
Paris, Archives nationales
© A.N., atelier de photographie

Rappelé aux affaires le 1er juin 1958, le général de Gaulle eut pour premier souci la réforme des institutions. Son gouvernement déposa un projet de loi constitutionnelle qui fixait une procédure exceptionnelle de révision, après avis d’un comité consultatif et du Conseil d’État, projet qui devait être soumis au référendum.

Le 28 septembre 1958, ce projet fut approuvé par référendum, à la majorité énorme de 17 688 790 oui contre 4 624 511 non. Le 4 octobre 1958, le Président de la République promulgua la loi constitutionnelle. Ce décret de promulgation est l’acte de naissance de la Ve République.

À la vérité, la loi, comme l’indique la formule de promulgation, porta deux Constitutions, celle de la République française, État souverain, et celle de la Communauté, organisation comprenant la République et d’anciens territoires d’Outre-mer, devenant des États autonomes.

 

I – La Constitution de la République

Différent de la Constitution de 1946, le texte de 1958 ne comporte pas un long préambule. Il proclame simplement l’attachement du peuple français aux droits de l’homme et aux principes de la souveraineté tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789 confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946.

Les articles de la Constitution mettent en oeuvre les principes imposés au Gouvernement par la loi du 3 juin 1958 amendée par le Parlement. Le régime institué est un régime parlementaire : le Gouvernement (Premier ministre et ministres) est responsable devant le Parlement. Mais ce parlementarisme est « assaini » (Michel Debré) afin de parer à l’instabilité qui avait désolé les républiques antérieures. L’assainissement est recherché, d’une part grâce au statut et aux prérogatives nouvelles du Président de la République et, d’autre part, par le recours aux mesures du parlementarisme rationalisé.

Chef d’État parlementaire, le Président, comme ses prédécesseurs, est investi des compétences majeures de l’exécutif, mais il les exerce par des actes à la validité desquels est nécessaire le contreseing du Premier ministre et des ministres qui en portent la responsabilité politique devant le Parlement. Innovation considérable : le Président, élu désormais par un collège élargi à des élus des départements et des territoires, a reçu des pouvoirs propres, exercés sans contreseing, qui lui permettent de prévoir ou de dénouer des crises par recours à la démocratie directe (référendum, dissolution). Des pouvoirs exceptionnels lui sont reconnus à l’effet de rétablir le fonctionnement régulier des pouvoirs publics interrompu par des crises graves. Ces dispositions avaient été voulues par le général de Gaulle lui-même.

Non moins fermement, le Général avait souhaité rendre incompatible le cumul des fonctions ministérielles et du mandat parlementaire. Les autres innovations, rassemblées à l’ordinaire sous le titre de parlementarisme rationalisé, sont plutôt d’origine parlementaire. Les plus importantes avaient été proposées sous la IVe République, tel le régime de l’engagement de la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale. Comme il était normal, les armes procédurales du parlementarisme rationalisé sont utiles ou ne le sont pas selon la composition et les qualités de la majorité parlementaire. Le Sénat a retrouvé en principe l’égalité des droits avec l’Assemblée nationale, mais le Gouvernement peut la tempérer, en faisant jouer un droit de dernier mot de la première assemblée. Dans le souci d’en finir vite, il l’a souvent provoqué sans nécessité vraie.

À l’origine, la mission du Conseil constitutionnel, collège de neuf personnes nommées par le Président de la République, le Président du Sénat et le Président de l’Assemblée, outre le jugement du contentieux électoral des députés et sénateurs, était principalement de sanctionner les dispositions des lois organiques et des règles des assemblées tendant à faire sauter les limites posées par la Constitution.

Tel qu’il était défini, le régime a bientôt évolué.

Le général de Gaulle fut élu Président de la République en décembre 1958. Les élections législatives envoyèrent à l’Assemblée une majorité absolue pour soutenir l’action présidentielle. Tous les partis, quoique avec des arrière-pensées diverses, entendaient s’en remettre au Général pour régler le problème algérien. Le régime se présidentialisa et la majorité parlementaire plus tard s’effrita.

Quand l’Algérie fut devenue indépendante (3 juillet 1962), le général de Gaulle estima nécessaire d’assurer à ses successeurs la légitimité indispensable pour exercer la fonction présidentielle comme il l’exerçait. À cet effet, il demanda au Gouvernement de préparer un projet de loi constitutionnelle instituant l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, et de lui proposer de soumettre le texte au référendum prévu à l’article 11 de la Constitution, c’est-à-dire sans adoption préalable par les Assemblées. La constitutionnalité de la procédure fut contestée et le Gouvernement fut censuré. Le Général prononça aussitôt la dissolution de l’Assemblée. Le projet de révision constitutionnelle fut adopté au référendum. Aux élections législatives, les candidats des partis dont les élus avaient voté la censure furent écrasés. Depuis cette époque, l’automne 1962, aucun gouvernement n’a jamais plus été censuré. L’histoire du parlementarisme rationalisé a pour ressort le mot de Caligula : « Oderint dum metuant. » Le fonctionnement du régime diffère selon que la majorité parlementaire est en harmonie ou en opposition avec le Président. Dans un cas, la politique de la Nation est déterminée par le Président, dans le second, c’est le Premier ministre qui tend à le faire. On est alors dans la situation dite de cohabitation.

Une autre modification au régime est intervenue par voie jurisprudentielle le 16 juillet 1971. Jusqu’alors, le Conseil constitutionnel ne pouvait être saisi des lois autres qu’organiques que par le Chef de l’État, le Premier ministre ou les Présidents de chacune des deux assemblées et son contrôle ne s’étendait pas à l’examen de la conformité de la loi avec les principes réaffirmés dans le Préambule. Le Conseil jugea le contraire et la loi constitutionnelle du 29 octobre 1974 accorda à soixante députés ou à soixante sénateurs le pouvoir de saisir le Conseil. A partir de ce moment, la Constitution de la Ve République a été l'objet d'une révision permanente. On en compte plus de quinze depuis 1976, qui sont en vérité d’inégale importance. Plusieurs harmonisent le droit constitutionnel avec le développement de l’Union européenne, et l’une « adosse » (sic) une charte de l’environnement à la Constitution. Les deux révisions les plus fondamentales ont été celle du 2 octobre 2000 qui, substituant le quinquennat au septennat du mandat présidentiel, a changé le régime, et celle du 28 mars 2003, relative à l’organisation décentralisée de la République, qui menace de changer l’État lui-même.

 

II – La Constitution de la Communauté

Selon la loi du 3 juin 1958, la Constitution nouvelle devait permettre d’organiser les rapports de la République avec les peuples qui lui étaient associés. Le texte constitutionnel a interprété très largement le mandat s’agissant des territoires d’Outre-mer. Appelés à participer au référendum constitutionnel, les peuples des territoires d’Outre-mer ont eu la faculté de faire sécession de la République française et de devenir indépendants par le refus du projet à la majorité des voix. Seule la population de la Guinée a usé de cette faculté le 28 septembre 1958. Les autres territoires ont eu la liberté de conserver le statut de territoire d’Outre-mer ou dans un délai de quatre mois de devenir soit départements d’Outre-mer de la République soit, groupés ou non ensemble, États membres de la Communauté. Tous les territoires d’Afrique subsaharienne et Madagascar choisirent cette solution.

Régie par le titre XII, la Communauté était une union composée d’un État souverain, la République française, et d’États seulement autonomes ; son organisation était un fédéralisme imparfait. Les États autonomes conservaient la liberté de devenir indépendants, mais ils cesseraient alors d’appartenir à la Communauté.

L’exemple de la Guinée, devenue membre des Nations unies, fut contagieux. Le Sénégal, le Soudan et Madagascar demandèrent que les compétences de la Communauté leur fussent transférées par accord, mais qu’ils demeurassent membres de la Communauté rénovée. La République y consentit. Les quatre États de l’Entente (Côte d’Ivoire, Niger, Haute-Volta, Dahomey) demandèrent et obtinrent le transfert des compétences mais refusèrent l’appartenance à la Communauté rénovée. Celle-ci ne prit jamais corps.

En 1964, le général de Gaulle cessa de prendre dans les lettres patentes le titre de Président de la Communauté. Le titre XII de la Constitution, révisée par la loi constitutionnelle du 4 juin 1960, était mort. Il a été abrogé par la loi constitutionnelle du 20 juin 1998.

 

Jean Foyer
ancien ministre
membre de l’Institut

Source: Commemorations Collection 2008

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